vendredi 25 novembre 2011

Matisse, Cezanne, Picasso... L'avenir des Stein

Les Galeries Nationales du Grand Palais consacrent actuellement une exposition à la collection de la fratrie Stein (Michael, son épouse Sarah, Leo et Gertrude) ou plutôt aux toiles qui ont transité par leurs intérieurs. C'est une formidable occasion de voir comment ces héritiers d'industriels américains ont  influencé la peinture d'avant-garde du début du XXe siècle. 

Si Gertrude bénéficie d'une large notoriété dans les cercles artistiques de notre époque, elle ne doit pas occulter l'influence de ses frères Michael et Leo et de sa belle-sœur Sarah dans la découverte des peintres qui sont à nos yeux aujourd'hui des maîtres incontournables. C'est au début du XXe siècle que les Stein se sont installés à Paris, Leo le premier, féru de peinture de la renaissance italienne et nourrissant le désir de devenir peintre lui-même, suivi de Gertrude, puis de Michael et Sarah. Entre leur arrivée et leur départ dans les années trente,  plus de 600 toiles de Cézanne, Matisse, Picasso ont orné les murs de leurs appartements rue Madame et Rue Fleurus, au gré des achats et des reventes. L'exposition représente un véritable travail de titan qui a consisté à retracer le chemin suivi par chaque toile passée entre leurs mains et surtout à déterminer l'appartenance des œuvres au sein même de la famille.

La Femme au Chapeau, Henri Matisse
Leurs premiers achats sont des Manet, des Renoir et des Cézanne, mais ces peintres, déjà cotés sur le marché, deviennent vite hors de portée de leur bourse. Sous l'influence de Leo, le clan Stein court  alors les salons et les galeries à la recherche de nouveaux talents. C'est au salon d'Automne  en 1905 que Leo Stein rencontre ce qui sera le tableau fondateur de la collection, La Femme au chapeau de Matisse. Le tableau fait scandale, ses couleurs choquent. Leo, incapable de dire s'il aime le tableau ne peut pourtant pas le quitter des yeux. Il l'achète. C'est mu par ce genre de sentiment, de coup de cœur, que les Stein vont constituer leur incomparable collection. Les amitiés que chacun noue avec les peintres oriente leurs acquisitions, ainsi Leo et Sarah sont friands des innovations de Matisse tandis que Gertrude s'attache aux œuvres de Pablo Picasso et soutient fermement le cubisme que Leo, lui, ne comprend pas.

Le meneur de cheval nu, Pablo Picasso
L'histoire de cette famille est fascinante et profondément liée à l'évolution de la peinture du tournant du siècle. Par l'achat de toiles, parfois uniquement pour apporter des liquidités aux artistes, par les conseils qu'ils prodiguaientt, leur présence à Paris a probablement joue un rôle majeur dans la carrière de peintres comme Henri Matisse, Pablo Picasso, Félix Valloton ou Maurice Denis. Tout cela permet d'admirer une exposition extrêmement riche. Leur histoire se trace au fil de l'évolution des styles. Grâce au goût de Gertrude pour Picasso ce fut un véritable bonheur d'admirer a nouveau Le meneur de cheval nu, de suivre de ce même Picasso, les évolutions des périodes bleue, puis rose puis cubiste. Tout cela est parsemé du quotidien des Stein, de leurs salons du samedi, de leurs photos de vacances, de leurs dîners en famille et de leurs intérieurs aux murs recouverts de toiles. Avant-gardistes jusqu'au boutistes, Michael et Sarah Stein n'auront quitté la rue Madame que pour s'installer à Garches dans une maison dessinée par Le Corbusier.
L'exposition s'achève sur Gertrude, personnage le plus emblématique de la fratrie, notamment par les amitiés qu'elle a noue plus tard avec les écrivains américains du Paris des années folles, Francis Scott Fitzgerald ou Ernest Hemingway. Une salle présente les hommages que ses protégés lui ont rendu en en faisant son portrait sur toile ou en bronze. On y trouve aussi, c'est à noter, les règlements de compte des artistes délaissés...

Présentation intelligente à travers des toiles qui nous racontent un histoire, cette exposition allie beauté et qualité. Un des grands événements de cet automne dont on ressort émerveillé et plus intelligent !

Matisse, Cézanne, Picasso... L'aventure des Stein
Galeries National du Grand Palais
3 avenue de Général Eisenhower
75008 Paris
01 44 13 17 17
www.grandpalais.fr

Du 5 octobre 2011 au 16 janvier 2012
Du vendredi au lundi, 9h - 22h, le mardi de 9h à 14h, mercredi et jeudi de 10h à 22h.
12 €

Commissaire : Cécile Debray, Conservateur au Musée national d'art moderne - Centre Goerges Pompidou

mercredi 23 novembre 2011

Les Samouraïs au Quai Branly

Banzaï ! Le Musée des Arts Premiers du Quai Branly vient d'inaugurer une exposition sur les samouraïs ou plus précisément sur leurs armures. Elle recrée l'univers des samouraïs du XIIe au XIXe siècle et retrace leur histoire à travers cinq périodes. Citons-les, ne serait-ce que pour le plaisir de pouvoir les énumérer tout haut : Kamakura (1185-1333), Nanbokuchô (1333-1392), Muromachi ( 1392-1573), Momoyama (1573-1603) et Tokugawa-Edo (1603-1868).

Les objets exposés proviennent de la collection Ann et Gabriel Barbier-Mueller, industriels suisses installés à Dallas, qui ont réuni plus de  140 objets, armures complètes, casques, masques, armures de chevaux, vêtements, constituant l'attirail des samouraïs. Ici, point de sabres ou presque, à peine un carquois, l'attraction réside dans la beauté même du vêtement guerrier. Les pièces présentées sont des merveilles de raffinement, les armures sont de véritables pièces d'orfèvrerie élevant la facture d'armure au rang d'art. On découvre d'ailleurs que l'objectif artistique de l'armure était clairement affiché puisque outre la fonction guerrière, elle servaient également à parader et à afficher son rang social. Les armuriers ont donc rivalisé d'adresse dans la sculpture et la confection des pièces. Toute une série de casques montrent même toute l'inventivité des artisans à travers la réalisation de casques en forme d'aubergine, portant des bois de cerf, des cornes de rhinocéros (même si on ne peut pas dire que ces derniers aient pullulé au Japon...), de faux cheveux, de croissants de lune et j'en passe... Petites pointes d'humour inattendues de la part de guerriers plus terrifiants que boute-en-train !

Cette exposition est plutôt bien organisée, les explications  sont claires, ce qui est inattendu lorsque l'on connaît les standards du Quai Branly, qui pour mémoire ne s'encombre pas souvent de pédagogie. Mais quand bien même la muséographie aurait été ratée, la richesse et la somptuosité de l'ensemble de la collection n'aurait pu laisser quiconque en sortir sans émerveillement. On est ici au royaume de l'esthétisme, mais vous me direz, est-ce vraiment étonnant de la part de la culture japonaise ?! Pour finir, une petite salle obscure passe en boucle des extraits de films de samouraïs, avec entre autres l'incontournable "Sept samouraïs" d'Akira Kurosawa ou les "Contes de la lune vague après la pluie" de Kenji Mizoguchi. On en ressort avec une envie de faire une orgie de sushis devant "Ran" tout en sirotant un verre de Sakura...


Samouraï, Armure du guerrier
Musée du Quai Branly
Du 8 novembre 2011 au 29 janvier 2012
Commissaire : Gabriel Barbier-Mueller


37 quai Branly
75007 Paris
01 56 61 70 00
Mardi, mercredi et dimanche de 11h a 19h
Jeudi, vendredi et samedi, de 11h a 21h8,
8,5 euros

mardi 15 novembre 2011

Goudemalion aux Arts Décoratifs : so far, so Goude !


Jean Paul Goude, l'homme du défilé du bicentenaire de la Révolution en 1989, fait l'objet d'une large rétrospective au Musée des Arts Décoratifs. Cette exposition retrace les quarante ans de carrière de cet "auteur d'images" inclassable et touche à tout. De ses dessins d'enfant, montrant déjà son don pour la narration par l'image, à ses dernières créations, on baigne dans l'univers atypique de Goude.

Accueilli par l'une des valseuses du bal du bicentenaire de la Révolution française, c'est justement cet évenément qui apparait le premier au visiteur puisqu'il est présenté dans la nef du Musée. On y découvre les détails et la génèse de ce défilé grandiose et novateur qui a marqué la mémoire des petits et des grands rivés devant leur poste de télévision ce soir de 14 juillet  1989 (ou dans les gradins pour les plus chanceux, mais ce n'était pas mon cas... Je me suis contenté de mon poste de télévision écran pas plat, coins pas carrés, pour reprendre les arguments de vente de l'époque...). Au milieu se trouve la grosse locomotive qui a remonté les Champs Elysées pour symboliser la révolution industrielle. Elle est entourée des clichés des costumes des régions de France et des pays associés qui composaient le défilé, avec les Britanniques marchant sous la pluie les Soviétiques (eh oui, nous ne sommes qu'en 1989) sous la neige. Ce défilé, que François Mitterrand et Jack Lang, alors Ministre de la culture, avaient voulu consacré à l'histoire de l'humanité et à la liberté plutôt que tourné vers la commémoration d'une période finalement relativement sombre de l'histoire de France, s'achevait sur l'image forte de Jessy Norman, enveloppée dans un immense drapeau tricolore chantant la Marseillaise place de la Concorde.
Les salles réparties autour de la nef retracent le parcours de Goude, en commençant par les dessins qu'il a réalisé enfant puis de ses première pub dans les années 60, pour Dim, Marie-Claire et Printemps. A ces premiers pas dans la pub succède sa collaboration avec le mythique magazine américain Esquire dont il devient le directeur artistique. De cette période New Yorkaise sont présentées des photographies de la fièvre festive de l'époque, de la folie disco, latino, gay, avec lesquelles il magnifie le sexe et la mixité.

Azzedine et Farida, Paris, 1985
Tirage photographique découpé et ruban adhésif
© Jean-Paul Goude
Mais le sujet phare du travail de Jean-Paul Goude, c'est le corps de la femme. L'ensemble des salles qui suivent sont consacrées aux photographies, films et compositions que lui ont inspiré ses égéries. En contractant Goude et Pygmalion, l'exposition traduit bien le travail sculpteur, de remodeleur du corps de la femme au moyen des images. De Radiah à Karen, en passant par Farida et bien sûr Grace, il allonge, raccourcit, blanchit, noircit les corps. Pour Grace Jones notamment, qui fut peut-être son modèle le plus iconique, sont montrés les procédés qui ont mis son corps en valeur, nu, allongé, blanchi ou mécanisé pour la publicité réalisée pour la CX2 de Citroën en 1987. Le découpage et la démultiplication des portions de clichés permettant de modifier, détail par détail les parties du corps de ses modèles (et de son propre corps, dans un autoportrait très valorisant !) sont fascinants.

Dans la galeries de droite, retraçant son travail pour la pub, rappelle à quel point il a fait de ce médium  a priori vulgaire un véritable art. Les publicités télévisuelles diffusées en boucle dans la salle sont toutes familières au visiteur le plus néophyte. Vanessa Paradis en oiseau en cage pour Chanel, les volets qui claquent sur fond de Prokofiev pour Chanel également, l'affrontement de la femme et du lion pour une bouteille de Perrier ou les enfants Kodak sont autant de petits films qui demeurent dans l'imaginaire collectif et qui appartiennent désormais à l'histoire de la télévision.


Les Galeries Lafayette : L’Homme, Paris, 2004
Collage
© Jean-Paul Goude

Plus récemment, les compositions réalisées pour la campagne d'affichage pour les Galeries Lafayette et côtoyées par tous les parisiens usagers du métro (pour parler en langage RATP...) montrent que Goude n'est toujours pas à cours d'idees et de créativité. Elles sont toutes rappelées dans la galerie de gauche, dédiée aux installations, par l'alignement d'écrans autour d'une salle, à raison d'une affiche par écran représentant par ailleurs chacun un quai d'une station de métro, parcourus en continu par une rame.

Cette rétrospective est donc extrêmement complète, fouillée et d'une grande qualité. Totalement inattendue pour un artiste encore très actif, mais réellement nécessaire, ne serait-ce que pour le plaisir de se rebaigner dans la folie chic et choc de ces dernières décennies.

Goudemalion
Du 11 novembre 2011 au 18 mars 2012


Musée des Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli
75001 Paris
01 44 55 57 50
www.lesartsdecoratifs.fr


du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h
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jeudi 10 novembre 2011

Edvard Munch, l'oeil moderne

Nuit étoilée, 1922-1924
A l'évocation du nom du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944), une œuvre vient directement à l'esprit : le cri. Ce visage indéfinissable, déformé, posé sur un corps filiforme poussant un cri inaudible avec en toile de fond un ciel et une passerelle d'un rouge torturé. Toile expressionniste célébrissime, (ou toiles au pluriel devrait-on dire puisqu'il en existe plusieurs version, Munch ayant la manie de répeter un certains nombre de fois ses œuvres fétiches) tant exceptionnelle qu'elle est a pour inconvénient d'être l'arbre qui cache la forêt, la toile qui cache l'œuvre de son peintre. L'exposition que présente le Centre Georges Pompidou constitue une bonne aubaine de remédier à cette ignorance en permettant de saisir toute l'ampleur du travail de Munch.
Edvard Munch est né en 1863 à Løten, en Norvège d'un père médecin militaire d'une piété à toute épreuve et d'une mère morte trop tôt de la tuberculose. Après une enfance vécue dans la capitale norvégienne, Christiania à l'époque, il suit des études techniques qu'il abandonne rapidement pour l'art. Sa carrière d'artiste l'amène rapidement à s'expatrier pour Paris et Berlin où il s'intègre aux cercles artistiques et intellectuels de l'époque dans lesquels il puise ses influences.
  
L'exposition revèle les influences du peintre tout au long de sa vie, mais également et c'est ce qui est passionnant, les techniques qu'il emploie, largement inspirées des nouvelles technologies de l'époque comme la photographie et le cinéma. Munch, souvent considéré comme un artiste torturé, renfermé, coupé du monde, vision due notamment à son goût pour des sujets tels que la mort, la maladie, l'angoisse ou le crime (en témoigne sa série de peinture consacrées à l'enfant malade qu'il a peinte dès la fin du XIXe siècle), était en réalité ouvert aux débats esthétiques de l'époque et féru des nouveaux procédés de reproduction de l'image. Il s'est ainsi adonné aux plaisirs de la photographie avec son petit appareil en prenant des photos de lui-même, de scènes de rue ou de ses modèles. Ces clichés sont ensuite exploités comme modèles pour ses peintures. On peut en découvrir une cinquantaine accrochés dans le cadre de l'exposition. Ainsi, Munch s'inspire de la vision apportée par la photographie pour composer ses toiles, on y retrouve ainsi le flouté dû aux mouvements effectués sur des temps de pause trop long.
Cheval au galop, 1910-1912
Dans les années 1910, le cinéma a également été une grande source d'inspiration technique. Ce qui intéresse Munch, c'est le point de vue du spectateur, de celui qui regarde. La toile ne décrit en effet plus des scènes, mais la vision que l'on a de ces scènes, telle qu'elle est représenté par l'intermédiaire d'une caméra. Le mouvement rendu par les premiers films projetés est reproduit dans les toiles du peintre notamment par des cadrages inhabituels, coupant les personnages en premier plan. Ceci est flagrant dans la peinture inspirée de la Sortie de l'Usine Lumière à Lyon des Frères Lumière et dans celle du cheval qui s'emballe, dont est issue la toile du Cheval au galop. La peinture de Munch est alors perçue comme une fixation de l'instant, comme pourrait le faire percevoir une photographie ou un film. L'intérêt de Munch pour le cinéma est tel qu'il s'amusera lui-même à filmer quelques scènes à l'aide sa petite caméra. Cinq minutes de film sont projetées dans le cadre de l'exposition durant lesquelles Munch a capturé des scènes de rue, a demandé à un ami de passer et repasser devant la caméra...

Le Soleil, 1910-1913
Ce travail sur le regard se manifeste dans l'ensemble de l'œuvre de Munch. Les peintures qu'il consacre au phénomène de rayonnement nous montrent non pas les sujets en eux mêmes, mais la perception qu'on en a à travers l'œil humain, reproduisant ainsi par exemple l'aveuglement ressenti par notre œil lorsque nous regardons fixement le soleil. De même, lorsqu'il a à souffrir de troubles occulaires dus à une hémorragies rétinienne, il est obsédé par la nécessité de reproduire via ses pinceaux l'affection que ce mal a sur le sens de la vue. La série de tableaux qu'il livre et qui est présentée au cours de l'exposition est saississante et tellement insoupçonnée lorsqu'on n'a qu'une faible connaissance de l'œuvre du peintre. On voit en effet se succéder une série de tableaux entachés d'une large masse multicolore aux tons changeant et masquant les scènes qui se jouent au-delà.

La Rétine de l'artiste. Illusion d'optique créée par la maladie oculaire, 1930
L'exposition Munch du Centre Pompidou, qui montre à quel point Munch était préoccupé par la vision, par le sens même de la vue, modifie notre propre vision de son œuvre. La muséographie est dès plus réussies, organisée d'une manière très didactique, mettant face à face développement technologique et travail du peintre. Elle nous permet de voir autrement tout simplement.

du 21 septembre 2011 au 9 janvier 2012
11h00 - 21h00 - nocturne le jeudi 23h00 - fermé le mardi
12 €

Centre Georges Pompidou
Place Georges Pompidou
75004 Paris

vendredi 4 novembre 2011

Tannhäuser, à l'Opéra de Paris

L'Opéra de Paris a reprogrammé pour cette saison le Tannhäuser de Richard Wagner dans la mise en scène de Robert Carsen, déjà présentée en 2007. L'opéra de Wagner s'inspire des légendes germaniques du tournoi de chant de la Wartburg et de la balade de Tannhäuser. Ici, l'action se situe près de la Wartuburg au XIIIè siècle, alors que règnent les Langrave de Thuringe. Le goût pour l'art de ces dernier est à l'origine de tournois de chant entre chevaliers-chanteurs. Près de là s'élève le Venusberg, qui abrite Vénus, ses tentations et ses plaisirs, où viennent  s'égarer certains de ces chevaliers-chanteurs. Tannhäuser est l'un de ceux-ci. Dès l'ouverture, on le voit se perdre dans les bras et les draps de Vénus (nue pour l'occasion, attention sortez les jumelles). Mais au cours du premier acte, il lui fait part de sa lassitude et de son besoin de s'évader et de découvrir le monde, ce qui provoque le désespoir puis le courroux de la déesse. Tout au long de l'œuvre, Tannhäuser sera en proie à la lutte du profane et du sacré, du lucre et de la pureté, de Vénus la licencieuse et d'Elizabeth la chaste, nièce du Landgrave et outil de sa rédemption.

Côté musique et côté mise en scène, la représentation proposée par l'Opéra de Paris est parfaitement réussie. Musicalement, l'interprétation est un véritable délice. Souple et limpide, sous la direction de Sir Mark Elder, elle traduit très bien le combat entre profane et sacré qui se livre tout au long de l'œuvre. Elle sert parfaitement une partition mythique, sans alourdir ni souligner outrageusement ses accents les plus fameux, et ce même pour le chœur des pèlerins. L'ouverture nous saisit dès son entame et rien ne lasse de la première à la dernière note. La distribution des voix est irréprochable. Les interprètes de Tannhäuser, de Wolfram, du Landgrave, d'Elizabeth et de Vénus offrent des incarnations mémorables. Le passage de la rencontre des chevaliers-chanteurs revenant de la chasse et de Tannhäuser à la fin du premier acte est un pur instant de bonheur, avec les différentes tessitures des chanteurs qui se mêlent et se répondent.

Visuellement, la mise en scène dépouillée mais très esthétique de Carsen est en toute objectivité un délice. L'idée de transposer un tournoi de chant en concours pictural est astucieuse et illustre bien les  sensibilités artistiques des protagonistes, la recherche du beau et les sources d'inspirations de Tannhäuser. On pourra reprocher un peu trop de statisme lors de la séparation de Tannhäuser et de Vénus, qui au bout d'un moment donne envie de filer un coup de main à ce pauvre Tannhäuser pour se débarrasser de la déesse... En revanche, l'affrontement des chevaliers-chanteurs dans le deuxième acte est un moment exquis. De même la représentation des pêchers des pèlerins par des toiles et de leur absolution par des cadres vide est somptueuse. Enfin, l'idée, dans le deuxième acte, de se faire se déplacer les chanteurs dans la salle au milieu du public pour figurer l'extérieur de la Wartburg est plus qu'intéressante et originale. Un bémol toutefois concernant cette mise en scène, malgré sa beauté elle ne permet pas de saisir toute la profondeur et la spiritualité de l'œuvre de Wagner. Elle ne fait que caresser en surface tout le code de l'honneur des chevalier-chanteurs qui sont ici des peintres amis de Tannhäuser. De même, l'enjeu de l'absolution papale n'est pas suffisamment mise en valeur notamment dans son rapport l'union de Tannhäuser et d'Elizabeth. Enfin, la mort d'Elizabeth et de Tannhäuser (oui, oui, ceci est un spoiler...) est complètement éludée. On a limite l'impression d'un happy ending avec des retrouvailles... Alors que ces retrouvailles ne se font que dans la mort.

Tout est donc impeccable dans la représentation de Tannhäuser offerte par l'Opéra de Paris. Innovante, méticuleuse, esthétique, la mise en scène souffre seulement d'un léger décalage avec le propos de l'œuvre composée et écrite par Wagner. Toutefois, la qualité du spectacle vaut bien que l'on s'en accommode.

"Tannhäuser"  opéra en trois actes de Richard Wagner, livret du compositeur
Direction musicale : Sir Mark Elder
Mise en scène : Robert Carsen
Chef du Choeur : Patrick Marie Aubert

Christof Fischesser : Hermann
Christopher Ventris : Tannhäuser
Stéphane Degout : Wolfram von Eschenbach
Stanislas De Barbeyrac : Walther von der Vogelweide
Tomasz Konieczny : Biterolf
Eric Huchet : Heinrich der Schreiber
Wojtek Smilek : Reinmar von Zweter
Nina Stemme : Elizabeth
Sophie Koch : Venus

Orchestre et choeur de l'Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur des enfants de l'Opéra national de Paris

Opéra Bastille
Place de la Bastille

lundi 31 octobre 2011

Du vent dans les branches de sassafras, Obaldia joué au Ranelagh

Le théâtre du Ranelagh honore René de Obaldia, durant les mois de septembre à novembre, en lui consacrant un Festival au cours duquel six spectacles inspirés des œuvres de ce facétieux romancier, poète et auteur de théâtre sont présentés. Parmi ceux-ci, l'une de ses pièces phares, "Du vent dans les branches de sassafras",  parodie de western complètement foutraque aux dialogues délirants mise en scène par Thomas Le Douarec.

Dans le Kentucky des pionniers, John-Emery Rockfeller, colon aventurier, parti de rien et arrivé pas bien loin, survit avec sa femme Caroline et ses rejetons Tom et Pamela, dans une ferme isolée proche de Pancho City. Un soir, alors que le dîner familial vient de s'achever, lui et son ami et néanmoins parasite, le Dr Butler, demandent, pour s'amuser un peu, à Caroline de lire l'avenir dans sa boule de cristal. Celle-ci prédit alors une attaque imminente des indiens de la région, Commanches, Sioux, Apaches, Mohicans et tutti quanti, partis en croisade contre les visages blêmes sous le commandement du terrifiant Œil de Lynx. Après avoir appris d'une prostituée au grand cœur rescapée de Pancho City, la destruction de la ville et de tous les ranchs environnant, ils se retrouvent bientôt assiégés par les peaux-rouges assoiffés de sang.

Huis clos complètement déjanté, le ton est donné dès le lever de rideau alors que les trois coups ne sont pas donnés au brigadier mais au revolver ! D'un bout à l'autre de la pièce, les dialogues ciselés d'Obaldia sont parfaitement servis par une mise en scène bricolée en apparence mais parfaitement maîtrisée et par la justesse du jeu des comédiens. Patrick Préjean, qui reprend le rôle de John-Emery Rockfeller créé par Michel Simon et également tenu par Jean Gabin, est excellent. Le tout est impeccablement rythmé sans jamais s'essouffler. On applaudit non seulement la truculence du texte que le dynamisme des comédiens et les trouvailles de la mise en scène burlesque mais jamais kitsch. On ronronne de plaisir à l'écoute du texte de la pièce, avec les envolées d'intellectuelle de gauche d'avant l'heure d'une Pamela pourtant plus proche du prix Nibel que du Nobel (désolé,  c'est mauvais mais je n'ai pas pu résister...), le langage d'onomatopées des indiens Œil de Perdrix et Œil de Lynx ("Toi prolo ! Prolo ! Poussière ! Crottin ! Pouah !" ou "Oye Potlach ! Moi emporter fille vieux bouc dans mon wigwam") ou le sérieux complètement dérisoire du Shérif Carlos. Le tout est entrecoupé de chansonnettes et de pseudo-chorégraphies qui cadrent parfaitement avec l'esprit de la pièce. On a même droit à un striptease sulfureux lorsqu'il s'agit de détourner l'attention des indiens pour mieux les occire. 


Quelle bonne idée donc, de célébrer Obaldia. c'est parfaitement réussi. Sans moyens extraordinaires, Thomas Le Douarec parvient à un résultat plus qu'honorable. Un vrai petit bijou à la hauteur de son auteur pour une soirée des plus rafraichissantes en ce début d'automne et tout cela dans un lieu charmant qu'est le théâtre du Ranelagh. En plus, pour ma part, ca m'a permis d'apprendre ce qu'est un sassafras... On ne saurait que recommander l'ensemble du festival. A noter que René de Obaldia se produit lui-même sur scène le lundi a 19h00 pour des lectures de ses œuvres. 


"Du vent dans les branches de sassafras"
Texte de René de Obaldia
Mise en scène de Thomas Le Douarec assisté de Michèle Bourdet et Philippe Maymat
Musique de Mehdi Bourayou
Avec Patrick Préjean, Isabelle Tanakil, Michèle Bourdet, Marie Le Cam, Charles Clément, Philippe Maymat ou Thomas Le Douarec, Christian Mulot, Medhi Bourayou
Du 9 septembre au 19 novembre 2011

Théâtre du Ranelagh
5 rue des Vignes
75016 Paris

mercredi 26 octobre 2011

Gisèle Freund, l'Oeil Frontière - Paris 1933-1940

La fondation Pierre Bergé - Yves Saint-Laurent a choisi de consacrer sa seizième exposition à Gisèle Freund, la photographe qui a immortalisé sur papier tant d'écrivains de l'entre-deux guerres. A travers une centaine de tirages et des documents d'archives, l'exposition Gisèle Freund, l'Oeil Frontière 1933-1940 retrace son parcours à Paris de 1933 à 1940, entre sa fuite d'Allemagne et sa fuite vers l'Argentine.

Gisèle Freund est née à Berlin en 1908. Son père, le collectionneur Julius Freund, lui offre son premier Leica alors qu'elle est adolescente. Elle se passionne très vite pour la photographie au point de consacrer sa thèse de sociolgie à La photographie en France au XIXè siècle. Sympathisante de la gauche allemande, elle doit fuir son pays en 1933 et se réfugie à Paris où elle achève ses études, publie ses premiers photo-reportages et se lie d'amitié avec deux libraires de la rue de l'Odéon, Adrienne Monnier des Amis des livres, et Sylvia Beach de Shakespeare and Co. Par leur intermédiaire, elle rencontre de nombreux écrivains français ou étrangers à qui elle propose de poser pour elle. La liste de ses modèles est impressionnante, elle réalise ainsi notamment les portraits de Joyce, Malraux, Gide, Colette, Breton, Eluard, Aragon, Caillois, Cocteau, Woolf, Zweig, Shaw ou Valéry. Et ce n'est là qu'un échantillon.

Les évolutions technologiques de la photographie ont permi à Gisèle Freund de se distinguer puisque très tôt, elle fait le choix,  en 1938, de réaliser ses portraits en couleur. Choix avant-gardiste puisque de nombreux photographes louaient la noblesse du noir et blanc et vilipendaient la vulgarité de la couleur. Pour Gisèle Freund, en revanche, la couleur ouvre de nouvelles horizons puisque pour elle c'est l'occasion de traduire en image non plus des nuances d'ombres mais des tonalités. Confrontée aux limites de cette technologie toutefois, elle ne peux reproduire sur papier ses clichés en couleur. Son amie Adrienne Monnier vient alors lui prêter son aide en organisant dans sa librairie, le 5 mars 1939, une soirée mémorable au cours de laquelle elle fait projeter sur un drap blanc les portraits d'écrivains en couleurs devant un public composé des modèles mêmes. La soirée fut un succès, les écrivains étaient ravis sauf, pour chacun, concernant leur prorpre portrait ! Ainsi Geroges Duhamel aurait regretté de ne pas s'être rasé le jour de la pose et André Maurois de n'avoir pas porté son costume d'académicien. Quant à François Mauriac, il eut souhaité être photographié vingt ans plus tôt. Touchantes coquetteries de modèles en somme ! La projection des portraits est reconstituée dans la première salle de l'exposition.

A travers ses protraits, Gisèle Freund parvient à saisir quelque chose d'indescriptible. On a le sentiment qu'elle parvient à faire transpirer l'oeuvre de ces écrivains à travers leur regard et leur posture. Elle nous livre des portraits de Malraux combatif, de Breton surréaliste ou de Colette facétieuse. Ce résultat, apprend-on, d'une interview projetée dans la dernière salle de l'exposition provient de ses conversations avec ses modèles. En effet, elle ne les dirige pas par rapport à l'objectif, mais les fait parler de leurs oeuvres, de leurs impressions. Technique probante puisque le résultat se trouve dans ces portraits tellement parlants qu'ils nous sont presque tous familiers. On ne connaît pas d'image plus celèbre de Joyce que celles qu'elle a capturées. L'image du jeune Malraux qui habille presque toutes les quatrièmes de couverture de ses livres, elle en est l'auteur. Idem pour Colette, c'est l'objectif de Gisèle Freund qui nous l'a donné immortalisée. A côte de cela, on décrouvre également des images moins connues mais touchantes, comme James Joyce saisi payant son taxi avant de se rendre chez Adrienne Monnier. Petit geste de la vie de tous les jours d'un génie de l'écriture.

Au milieu de tant d'écrivains, cette exposition les rapprochent de nous. Personnellement j'en suis ressortie avec une envie de me replonger dans ces écrits de l'entre-deux guerres. L'objectif de la photographe n'est-il alors pas atteint ?


Gisèle Freund, l'Oeil Frontière 1933-1940
Fondation Pierre Bergé - Yves Saint-Laurent
5 avenue Marceau
75016 Paris

Espace d'exposition
3 rue Léonce-Reynaud
75016 Paris
Tel : 01 44 31 64 31
Ouvert du mardi au dimanche, 11h00 - 18h00
Entrée : 7 €

lundi 24 octobre 2011

Portnoy's complaint, une chronique hystérique

Voici le roman qui porta Roth au rang de célébrité internationale en 1969. Monologue hilarant et subversif d'un patient, Alexander Portnoy, à son phychanalyste, Spielvogel, relatant son insatisfaction sexuelle chronique et le poids d'être issu d'une famille juive de troisième génération de Newark, New Jersey.

Alexander Portnoy, relate ainsi toutes les difficultés d'être né d'une famille juive et de vivre en plein quartier juif de Weequahic à Newark. Sa narration oscille entre ses souvenir d'enfance au sein de sa famille, qu'il n'a jamais quittée avant de partir au collège, et sa vie de jeune adulte sexuellement débridé et aspirant à se défaire de toute attache. Jamais assez bien pour ses parents, toujours décevant, même parvenu à l'âge adulte il est toujours considéré comme un enfant par des parents qui attendent de lui une reconnaissance éternelle pour les sacrifices qu'ils ont fait pour son éducation. De là semblent découler toutes ses névroses, son incapacité à jouir de ses aventures et l'incessante culpabilité du plaisir éprouvé.

Portnoy's Complaint (pôrt'-noiz kəm-plānt') n. [after Alexander Portnoy (1933- )] A disorder in which strongly-felt ethical and altruistic impulses are perpetually warring extreme sexual longings, often of a perverse nature. Spielvogel says: ' Acts of exhibitionism, voyeurism, fetishism, auto-eroticism and oral coitus are plentiful; as a consequence of the patient's "morality," however neither fantasy nor act issues in genuine sexual gratification, but rather in overriding feelings of shame and the dread of retribution, particularly in the form of castration' (Spielvogel, O. "The Puzzled Penis," Internazionale Zeitschrift für Psychoanalyse, Vol. XXIV, p.909) It is believed by Spielvogel that many of the symptoms can be traced to the bonds obtaining in the mother-child relationship.

Sa mère, notamment, est omniprésente et tient un rôle à part dans la construction de sa personnalité. Un rôle très pervers même puisque la figure maternelle semble être la cause de ses mésaventures sexuelles. Il est partagé entre l'amour de petit garçon qu'il lui porte et le ressentiment de l'enfant qui ne fait jamais rien assez bien, constamment comparé aux enfants des amies de la famille, toujours plus polis, toujours plus aimants, toujours plus brillants, toujours plus docteurs, toujours plus avocats. D'une manière éxtrêmenent désopilante, il narre les douloureux moments où, jeune adolescent, il ne peut refréner ses envies masturbatoires et se précipite dans la salle de bain, à la grande inquiétude de sa mère, qui croyant à une diarrhée, lui demande de lui montrer son "poopie" dans les toilettes avant de le sermonner à grands cris de désespoir sur les dangers des hamburgers pour le système intestinal. Et je ne vous parlerai pas de l'utilité que l'on peut trouver dans le foie de veau du repas familial...

Culpabiliser pour tout, voilà ce qu'il semble avoir retenu de son enfance. Culpabiliser pour son fantasme de la famille goy, pour son goût pour les shikse avec lesquelles le fait de coucher représente une véritable revanche sur ses origines et le sentiment d'enfin goûter à l'Amérique, terre de liberté. Mais ce goût de liberté est bien amer puisque malgré l'assouvissment de ses fantasmes les plus inavoués avec les femmes qui traversent sa vie ne lui procurent jamais le plaisir escompté. Aucune femme ne parvient à le satisfaire. The Monkey, le personnage féminin le plus présent (en dehors sa mère bien sûr...), ainsi dénommée parce qu'elle a mangé une banane en regardant les ébats d'un couple, même si elle semble correspondre aux attentes de de Portnoy en matière sexuelles, ne pourra jamais un seul instant prétendre être plus qu'un instrument de plaisir dans sa vie. De même, la plus parfaite des héritières WASP ne lui suffira pas non plus. Jusqu'où le menera cette recherche du mieux, cette recherche de l'acceptable... ? Jusqu'en Israël, mais là non plus ne sera pas la solution à son mal-être et à ses aspirations. Mais n'en disons pas plus.

Le choix de narration de la confession d'un patient à son psychanalyste permet à Roth de laisser libre cours aux perversions et aux ressentiments de son personnage. Les épisodes des sexe et de masturbation sont relatés crument (cf. les chapitre intitulés "Whacking off" et "Cunt crazy") mais également d'une manière totalement comique. La jouissance éprouvée à la lecture de ces scènes n'est pas sexuelle mais humoristique. On ne doute pas un seul instant que ce livre ait secoué l'establishment à sa sortie en 1969 ni que, pour reprendre une anecdote contée par Roth lui-même, il ait été difficile à cette époque de réellement s'appeler Portnoy ! Cependant, pour rassurer les lecteurs, si cette oeuvre s'inspire du vécu même de son auteur, elle n'en est pas pour autant autobiographique. Et heureusement pour Roth, il n'a pas véritablement eu ces parents-là !

Portnoy's Complaint, Philip ROTH, Vintage Books, London, 1995, 274 pages.
http://www.randomhouse.co.uk/editions/portnoys-complaint/9780099399018

dimanche 23 octobre 2011

Bienvenue au Cabaret de Marigny


Wilkommen, Bienvenue, Welcome... Mythique entrée en matière de la comédie musicale Cabaret reprise actuellement en version française au théâtre Marigny. Créée en 1966 à Broadway par Joe Masteroff, sur une musique de John Kander, adaptée au cinéma par Bob Fosse en 1972, elle revient aujourd'hui dans une mise en scène inspirée de celle de Sam Mendes et adaptée en Francais.

Situee dans le Berlin de 1931, Cabaret voit se croiser au Kit Kat Club et dans la pension de Fräulein Schneider Sally Bowles, chanteuse comptant autant sur sont talent vocal que sur ses charmes pour assurer sa subsistance et Clifford Bradshaw, écrivain en devenir vivotant de cours d'Anglais. Leur histoire d'amour, orchestrée par l'inquiétant Emcee, le maître de cérémonie, ainsi que celle de Fräulein Schneider et de Herr Schultz, le marchand de fruit juif, est emportée par les tourments politiques des années de crise marquées par la montée du nazisme.

Ayant comme élément de comparaison le film de Bob Fosse, j'étais rodée aux accords musicaux du spectacle mais avec des paroles en Anglais. Toutefois, l'adaptation en Français, même si elle demande de s'y accoutumer n'est pas dérangeante et les traduction sont intelligentes. Les interprètes sont très bien dans leur rôle. Claire Pérot, qui tient le rôle de Sally Bowles est époustouflante. Elle n'a rien à envier à une Liza Minelli ! Virevoltante, désinvolte, saoulante à souhait, elle campe parfaitement le rôle de la femme enfant Sally Bowles, insensible aux menaces de son époque. son geste est précis, sa voix claire et émouvante, ses expressions de revanche sur la vie parfaites.  


Le rôle de Emcee est très bien interprété par Emmanuel Moiré également. Toutefois, la barre était vraiment très haute, trop haute peut-être. Il m'est avis que personne sur cette terre n'est en mesure de faire oublier l'interprétation de Joel Grey, tellement inoubliable que le défi de prendre sa suite est purement impossible. Les reste de la distribution est sans anicroche. Les semi-danseuses, semi-prostituées sont rances comme il faut, les hommes qui gravitent autour du Kit Kat Club, sexuellement universels. 

Quant à la mise en scène, elle roule sur les rails et fonctionne comme une horloge bien huilée. Toutefois, les allusions sexuelles sont foison et même trop présentes. Soulignées, voir même doublement stabilobossées et encadrées au néons, les déhanchés sont hypersuggestifs et hyperrépétés là où l'équivoque aurait suffit. Au bout d'un moment, ca lasse un peu. Au milieu de tout cela, les scenes de romance entre Fräulein Schneider et Herr Schultz apparaissent comme de véritables bols d'air dans la mise en scène, encore plus touchant dans leur amour au parfum suranné. La violence du contexte politique allemand du début des années 30 est lui bien représenté et la chanson inspirée d'une marche nazie "Tomorrow belongs to me" glaçante.

On passe donc une très bonne soirée. A la hauteur de ce que l'on peut attendre d'une production bien rodée. On en redemanderait, mais ce serait encore mieux si on pouvait avoir Joel Grey...

Cabaret
Théâtre Marigny
Carré Marigny 
75008 Paris
01 53 96 70 30
 www.theatremarigny.fr

Du 6 octobre au 31 décembre 2011
De 25 à 79 euros

samedi 22 octobre 2011

La Galerie nationale d'art moderne à Rome

Lorsqu'on parle de peinture italienne, ce ne sont souvent pas des images d'oeuvres contemporaines qui nous viennent à l'esprit. On pense en effet plutôt immédiatement aux fresques de Raphaël ou aux toiles de Boticelli. La Galerie nationale d'art moderne de Rome, située en bordure de la Villa Borghese, est alors une merveilleuse occasion d'en savoir plus sur les mouvements artistiques contemporains italiens et parmi eux l'un des plus caractéristiques, le futurisme. La GNAM, outre les toiles de maitres tels que Monet, Van Gogh, Cézanne, Klimt  (avec Les trois ages de la vie absolument sublime) ou Modigliani qu'elle renferme, brosse un tableau historique de l'art italien des XIXè et XXè siècles. 

Les salles consacrées au XIXè siècle présentent les différentes écoles régionales de peinture, Rome, Venise, la Toscane ou encore l'Italie du Nord avec Milan notamment. De cette dernière, on retiendra notamment L'arrivée du bulletin de la paix Villafranca de Domenico Induno qui mêle moment historique et instant quotidien en pleine guerre d'indépendance. Parmi les œuvres plus tardives du XIXe siècles, les deux scènes de batailles du peintre napolitain Michele Cammarano, impressionnantes non seulement par leur format mais également par la violence de leur sujet, illustrant, l'une la Bataille de San Martino, l'autre la Bataille de Dogali opposant les Italiens aux Abyssins lors de la campagne d'Érythrée en 1887 et qui fit 430 victimes italiennes et 3000 abyssiniennes en l'espace de seulement quatre heures. Enfin, ce qui fut pour moi, l'œuvre la plus captivante de cette période est la toile de Giovanni Segantini, Alla Stanga, scène apaisante de la vie de paysans de montagne avec leurs bêtes au coucher du soleil. Ce tableau est un bel exemple du divisionnisme italien.

Alle Stanga, Giovanni Segantini


Ce sont les salles des peintures du XXè siècle qui vraiment éveillé ma curiosité. Leur visite m'ont permis de découvrir Umberto Boccioni et Giacomo Balla, deux des représentants les plus emblématiques du futurisme et co-signataires, avec Filippo Marinetti et Carlo Carra du "Manifeste Futuriste" en 1910. Les toiles de Giacomo Balla sont fascinantes. Ses premières œuvres, inspirées par le divisionnisme ont pour principaux sujets les pauvres, les fous et les ouvriers. Passionné de modernité, il concentrera ensuite sont travail sur la representation du mouvement en image. A l'aube de la première guerre mondiale, il évolue vers l'abstraction qu'illustre parfaitement son Expansion dynamique, peinte en 1913, succession d'instants répétant une même action représentant le mouvement de la machine. Dans les années 30, Balla reviendra ensuite vers le figuratif. Les salles du XXè siècles présentent également enfin des toiles de peintres italiens d'avant-garde mussolinienne comme Fausto Pirandello ou ouvertement antifasciste comme Renato Guttuso avec la Crucifixion. Sans maquillage de l'histoire, l'art des années 20 et 30 et ses rapports avec le pouvoir est présenté simplement pour n'avoir comme juge que nos yeux et nos propres valeurs.

Malheureusement, les salle d'art contemporain ne sont pas visible actuellement. Cependant, par ce parcours à travers l'art moderne italien suffit à combler un vide et démontre que la peinture italienne ne s'est pas arrêtée au XVIè siècle. Et qu'il est dur de se faire sa place dans une Rome regorgeant d'antiquité et de papauté !

Galleria Nazionale d'Arte Moderna
Vialle delle Belle Arti, 131
00197, Rome
Tel : 0039 06 322981
www.gnam.beniculturali.it
 
Ouvert du mardi au dimanche - 8h30 - 19h30
Fermé les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre
Entrée :8 €

mardi 11 octobre 2011

La Galerie Borghese à Rome

La Galerie Borghese, située, comme son nom l'indique dans la Villa Borghese, est pour tout amateur d'art un petit joyau tant ses collections sont riches. Elle abrite les collections de la Famille Borghese, initiée par le Cardinal Scipion Borghese au XVIIè siècle, neveu favori du Pape Paul V et grand amateur d'art capable d'apprécier à la fois l'art antique, mais également les oeuvres moins conventionnelles de son temps. Elle renferme plus de 580 oeuvres, statues et toiles, des grands maîtres de l'époque de Scipion Borghese, ou acquises par ses successeurs.


Les collections sont exposées dans les décors rococo somptueux commandés par Marc-Antoine Borghese en 1770, faits de stucs et de fresques plus admirables les unes que les autres. Le salon d'entrée de la Galerie est consacré à la grandeur de la civilisation romaine avec une voûte peinte et un pavement de mosaïques récupérées dans d'anciennes demeures romaines du IVè siècle, illustrant les combats des gladiateurs et des fauves. Il est touchant de voir inscrit les noms de ces gladiateurs à côté de leur représentation, parfois agrémentée d'un caractère supplémentaire signifiant une mort au combat.
Le nombre de chefs d'oeuvres qui se succèdent fil de la visite est tel qu'il est impossible ne serait-ce que de tous les mentionner. Incontournable toutefois, parmi les Bernin, on reste béat devant le "Rapt de Proserpine" sculpture tout en mouvement grâce à sa forme en hélice. Elle traduit la violence l'enlèvement par l'exécution de détails d'une grande maîtrise comme les doigt de Pluton qui compriment la chair des cuisse de Proserpine, et les larmes de désespoir de cette dernière. Admirables exemples du talent du Bernin, le David, figé dans l'instant où il arme sa fronde contre le géant Goliath, et "Apollon et Daphné" montrant cette dernière se transformant en laurier au moment où Apollon se saisit d'elle, suscitent le ravissement. Toujours dans le domaine de la sculpture, enfin, le portrait de Pauline Borghese (qui n'est autre que Pauline Bonaparte) par Antonio Canova, représentée en Vénus Victorieuse et scandaleusement belle dans sa nudité est sans conteste l'un des clous de la collection.


Dans la salle des Caravage, où l'on peut admirer "La Madone au serpent" ou le "Jeune garçon à la corbeille de fruit", je me suis pour ma part attardée sur le "David tenant la tête de Goliath" saisissant à la vue du visage terrifiant de Goliath, autoportrait peu flatteur de l'artiste. La pinacothèque, au premier étage, rassemble une grande quantité de tableaux de Titien, Cranach, ou Raphaël. Ce dernier a exécuté en 1507 "la Déposition", oeuvre plein de douleur, dépeignant la déposition du Christ en s'inspirant du drame de l'assassinat du fils du commanditaire du tableau, Atalanta Baglioni.


Pour achever la visite, un petit tour par le jardin au bout duquel se trouve la volière qui vient d'être restaurée, apporte une fraîcheur apaisante après les déambulation dans le faste de la galerie.
Petit conseil de visite : le temps de visite étant limité à 2h dont trente minutes pour la pinacothèque, il peut être judicieux de commencer par cette dernière afin d'éviter la foule. La visite de la pinacothèque est moins limitée, par ailleurs, sur la dernière tranche horaire de la journée, à partir de 17h00.


Galleria Borghese
Piazzale del Museo Borghese 5, 00197 ROMA
Tel. 0039 06 8413979
http://www.galleriaborghese.it


Sur réservation (la visite est limitée à 360 personnes toutes les deux heures)
Tel. 0039 06 32810 ou http://www.ticketeria.it/ticketeria/borghese-privacy-ita.asp
Horaires d'ouverture:
Du mardi au dimanche de 8h30 à 19h30
Fermé le lundi
Fermé le 1er janvier et le 25 décembre

dimanche 9 octobre 2011

La clémence de Tito à l'Opéra National de Paris

L'Opéra National de Paris reprogramme cette saison la Clémence de Titus dans sa version de 1997, mis en scène par Willy Decker sous la direction musicale d'Adam Fischer. Cet opera seria, que Mozart composa en 18 jours en 1791 en réponse à une commande en l'honneur du couronnement de l'empereur Léopold II de Bavière, sacré roi de Bohême à Prague, n'est certes pas l'œuvre la plus remarquable du génial Mozart, mais elle est loin d'être dépourvue d'inspiration.

L'argument se passe à Rome, où l'empereur Titus, dont tous acclament la clémence et la tempérance, est l'objet d'un complot de la part de Vitellia, patricienne deux fois déçue par les choix de mariage de Titus. Elle parvient à armer le bras de Sesto, le confident de Titus transi d'amour pour elle, pour mettre à mort l'empereur et ainsi calmer sa jalousie. Après l'échec du complot, Titus pardonnera à tous d'avoir voulu mettre un terme à son règne et tous, amis, ennemis, peuple et Sénat, célèbreront ensemble la bonté de l'empereur.

Le spectacle offert à Garnier est très loin d'être déplaisant. L'œuvre tout d'abord est loin d'être cet opéra bâclé auquel on a tente de le réduire. Un Mozart de second rang demeure malgré tout inoubliable. La mise en scène est impeccable, toute en sobriété et cadre parfaitement avec le propos d'une œuvre qui se veut sérieuse, voire même pédagogique pour le souverain qui l'a commandée. Dominée par un imposant bloc de marbre qui découvre au fur et à mesure les traits du buste de Titus, le décor reflète la majesté de la personne de l'empereur, mais donne également l'impression d'une charge trop grande, trop lourde pour lui. Noyé sous les complots, il n'aspire qu'au bonheur de son peuple et son impuissance semble l'inciter à abandonner son rôle puisqu'il tente constamment de se séparer de sa couronne (couronne qui n'a cessé de me faire sourire tant elle ressemble à celle de Marchel 1er, roi des Marchiens... Mais c'est hors-sujet...).

Si belle que soit cette mise en scène, il lui a toutefois manque une petite chose non négligeable... de la voix. Et quoi de plus indispensable que la voix dans l'opéra. Titus est peu convaincant, le ténor Klaus Florian Vogt, dont la tessiture trop claire et son souffle trop court m'a dérangée, manque à donner de la grandeur au personnage. Des le premier recitativo, en effet, ca coince, Titus manque de charisme. En revanche, Hibla Gerzmava dans le rôle de Vitellia est enchanteresse, sa voix nous transmet toute la vilénie et tout le désespoir du personnage. Quant à Stéphanie d'Oustrac, ses élans mélodieux nous ferons pardonner le choix d'une mezzo pour le rôle de Sesto, rôle normalement alloue à une contralto.

En conclusion, une représentation tout à fait honorable et l'occasion surtout de (re)découvrir une œuvre méconnue du prodige de Salzbourg. 



La Clémence de Titus
Opera seria en deux actes
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Pietro Metastasio adapté par Caterino Mazzola

Direction Musicale : Adam Fischer
Mise en scène : Willy Decker
Chef de chœur : Alessandro di Stefano

Tito : Klaus Florian Vogt
Vitellia : Hibla Gerzmava
Servilia : Amel Brahim-Djelloul
Sesto : Stéphanie d'Oustrac
Annio : Allyson McCarthy
Publio : Balint Szabo

Palais Garnier
Place de l'Opéra
75002 Paris
Du 10 septembre au 8 octobre 2011

samedi 8 octobre 2011

Le Musée Lalique à Wingen-sur-Moder en Alsace


Inauguré le 1er juillet 2011, le Musée Lalique vient d'ouvrir ses portes dans le petit village de Wingen-sur-Moder dans le Bas-Rhin. Aménagé sur les lieux même de l'ancienne verrerie du Hochberg, active au XVIII et XIXè siècles, il retrace l'histoire des créations de la maison Lalique en mettant l'accent sur les productions réalisées dans les verreries de Wingen.

La maison Lalique

Initialement joailler, René Lalique a très tôt créé des bijoux d'avant -garde alliant toute sortes de matières telles que l'ivoire, l'émail et bien sûr le verre à celles plus convenues comme l'or ou le diamant. Créateur avant-gardiste, il s'est ainsi attiré la bienveillance d'une élite artistique à l'écart des conventions. Sarah Bernhardt par exemple, lui achetera nombre de ses créations. Par ses bijoux, il connaîtra un véritable triomphe lors de l'exposition universelle de 1900 à Paris.

L'effleurt pour Coty - 1908-1912 © Coll. Sylvio Denz

Dès 1890, René Lalique s'intéresse au verre, mais c'est en 1912 qu'il décide de s'y consacrer exclusivement. A la suite de sa rencontre avec François Coty, industriel de la parfumerie, Lalique révolutionne  le genre grâce aux flacons de parfums qu'il crée. Le contenant devient alors aussi important que son contenu et ses créations rivalisent d'élégance tout en  conservant une forme simple et fluide. Ce n'est qu'après qu'il  s'ouvrira aux arts de la table et de la décoration. Son imagination trouve sa source  sous l'inspiration des 3F : la Femme, la Flore, la Faune. Il a en effet étudié dans leurs plus moindres détails les particularités de chacune afin de reproduire le plus fidèlement leurs textures et leurs mouvements. Figure emblématique de l'Art Nouveau, il s'adaptera parfaitement par la suite aux lignes géométriques épurées de l'Art Déco.


C'est en 1921 que René Lalique s'installe à Wingen-sur-Moder, lieu ancré dans une longue tradition verrière. En effet, La verrerie du Hochberg fut construite dès 1715 et produisit bouteilles, verres de montre et verre à vitre. Le dernier four s'éteignit cependant en 1868 faute de bois suffisant pour l'alimenter. Cinquante ans plus tard, Lalique a fait renaitre cette industrie, encore active de nos jours.

Le musée

Vue aile sud Musée Lalique © Wilmotte SA


LALIQUE Rene, Vase Serpent

1924


 © Lalique SA
Installées dans une réalisation de l'architecte Jean-Michel Wilmotte, les collections présentées par le musée retracent non seulement l'histoire de la maison Lalique et des maîtres verriers de la région, mais renseigne également sur les savoir-faire techniques nécessaires à la réalisation des objets présentés. A travers une très belle scénographie, très sombre aussi (trop ?), on admire à la fois les créations les plus emblématiques de Lalique ainsi que tout le parcours que ces pièces ont du suivre pour aboutir à un objet fini. Très pédagogique, l'exposition fait prendre conscience des innombrables heures que nécessite chaque objet pour pour sa réalisation et la précision qu'il requiert. On peut ainsi, par exemple, suivre toutes les étapes de la réalisation du vase Bacchantes de sa sortie du moule à sa signature. Pour que la création verrière n'ai plus aucun secret pour le visiteur, je conseille de ne pas manquer le documentaire diffuse dans l'auditorium à la sortie de la salle d'exposition.

Musée Lalique
Rue du Hochberg
67290 Wingen-sur-Moder