vendredi 25 novembre 2011

Matisse, Cezanne, Picasso... L'avenir des Stein

Les Galeries Nationales du Grand Palais consacrent actuellement une exposition à la collection de la fratrie Stein (Michael, son épouse Sarah, Leo et Gertrude) ou plutôt aux toiles qui ont transité par leurs intérieurs. C'est une formidable occasion de voir comment ces héritiers d'industriels américains ont  influencé la peinture d'avant-garde du début du XXe siècle. 

Si Gertrude bénéficie d'une large notoriété dans les cercles artistiques de notre époque, elle ne doit pas occulter l'influence de ses frères Michael et Leo et de sa belle-sœur Sarah dans la découverte des peintres qui sont à nos yeux aujourd'hui des maîtres incontournables. C'est au début du XXe siècle que les Stein se sont installés à Paris, Leo le premier, féru de peinture de la renaissance italienne et nourrissant le désir de devenir peintre lui-même, suivi de Gertrude, puis de Michael et Sarah. Entre leur arrivée et leur départ dans les années trente,  plus de 600 toiles de Cézanne, Matisse, Picasso ont orné les murs de leurs appartements rue Madame et Rue Fleurus, au gré des achats et des reventes. L'exposition représente un véritable travail de titan qui a consisté à retracer le chemin suivi par chaque toile passée entre leurs mains et surtout à déterminer l'appartenance des œuvres au sein même de la famille.

La Femme au Chapeau, Henri Matisse
Leurs premiers achats sont des Manet, des Renoir et des Cézanne, mais ces peintres, déjà cotés sur le marché, deviennent vite hors de portée de leur bourse. Sous l'influence de Leo, le clan Stein court  alors les salons et les galeries à la recherche de nouveaux talents. C'est au salon d'Automne  en 1905 que Leo Stein rencontre ce qui sera le tableau fondateur de la collection, La Femme au chapeau de Matisse. Le tableau fait scandale, ses couleurs choquent. Leo, incapable de dire s'il aime le tableau ne peut pourtant pas le quitter des yeux. Il l'achète. C'est mu par ce genre de sentiment, de coup de cœur, que les Stein vont constituer leur incomparable collection. Les amitiés que chacun noue avec les peintres oriente leurs acquisitions, ainsi Leo et Sarah sont friands des innovations de Matisse tandis que Gertrude s'attache aux œuvres de Pablo Picasso et soutient fermement le cubisme que Leo, lui, ne comprend pas.

Le meneur de cheval nu, Pablo Picasso
L'histoire de cette famille est fascinante et profondément liée à l'évolution de la peinture du tournant du siècle. Par l'achat de toiles, parfois uniquement pour apporter des liquidités aux artistes, par les conseils qu'ils prodiguaientt, leur présence à Paris a probablement joue un rôle majeur dans la carrière de peintres comme Henri Matisse, Pablo Picasso, Félix Valloton ou Maurice Denis. Tout cela permet d'admirer une exposition extrêmement riche. Leur histoire se trace au fil de l'évolution des styles. Grâce au goût de Gertrude pour Picasso ce fut un véritable bonheur d'admirer a nouveau Le meneur de cheval nu, de suivre de ce même Picasso, les évolutions des périodes bleue, puis rose puis cubiste. Tout cela est parsemé du quotidien des Stein, de leurs salons du samedi, de leurs photos de vacances, de leurs dîners en famille et de leurs intérieurs aux murs recouverts de toiles. Avant-gardistes jusqu'au boutistes, Michael et Sarah Stein n'auront quitté la rue Madame que pour s'installer à Garches dans une maison dessinée par Le Corbusier.
L'exposition s'achève sur Gertrude, personnage le plus emblématique de la fratrie, notamment par les amitiés qu'elle a noue plus tard avec les écrivains américains du Paris des années folles, Francis Scott Fitzgerald ou Ernest Hemingway. Une salle présente les hommages que ses protégés lui ont rendu en en faisant son portrait sur toile ou en bronze. On y trouve aussi, c'est à noter, les règlements de compte des artistes délaissés...

Présentation intelligente à travers des toiles qui nous racontent un histoire, cette exposition allie beauté et qualité. Un des grands événements de cet automne dont on ressort émerveillé et plus intelligent !

Matisse, Cézanne, Picasso... L'aventure des Stein
Galeries National du Grand Palais
3 avenue de Général Eisenhower
75008 Paris
01 44 13 17 17
www.grandpalais.fr

Du 5 octobre 2011 au 16 janvier 2012
Du vendredi au lundi, 9h - 22h, le mardi de 9h à 14h, mercredi et jeudi de 10h à 22h.
12 €

Commissaire : Cécile Debray, Conservateur au Musée national d'art moderne - Centre Goerges Pompidou

mercredi 23 novembre 2011

Les Samouraïs au Quai Branly

Banzaï ! Le Musée des Arts Premiers du Quai Branly vient d'inaugurer une exposition sur les samouraïs ou plus précisément sur leurs armures. Elle recrée l'univers des samouraïs du XIIe au XIXe siècle et retrace leur histoire à travers cinq périodes. Citons-les, ne serait-ce que pour le plaisir de pouvoir les énumérer tout haut : Kamakura (1185-1333), Nanbokuchô (1333-1392), Muromachi ( 1392-1573), Momoyama (1573-1603) et Tokugawa-Edo (1603-1868).

Les objets exposés proviennent de la collection Ann et Gabriel Barbier-Mueller, industriels suisses installés à Dallas, qui ont réuni plus de  140 objets, armures complètes, casques, masques, armures de chevaux, vêtements, constituant l'attirail des samouraïs. Ici, point de sabres ou presque, à peine un carquois, l'attraction réside dans la beauté même du vêtement guerrier. Les pièces présentées sont des merveilles de raffinement, les armures sont de véritables pièces d'orfèvrerie élevant la facture d'armure au rang d'art. On découvre d'ailleurs que l'objectif artistique de l'armure était clairement affiché puisque outre la fonction guerrière, elle servaient également à parader et à afficher son rang social. Les armuriers ont donc rivalisé d'adresse dans la sculpture et la confection des pièces. Toute une série de casques montrent même toute l'inventivité des artisans à travers la réalisation de casques en forme d'aubergine, portant des bois de cerf, des cornes de rhinocéros (même si on ne peut pas dire que ces derniers aient pullulé au Japon...), de faux cheveux, de croissants de lune et j'en passe... Petites pointes d'humour inattendues de la part de guerriers plus terrifiants que boute-en-train !

Cette exposition est plutôt bien organisée, les explications  sont claires, ce qui est inattendu lorsque l'on connaît les standards du Quai Branly, qui pour mémoire ne s'encombre pas souvent de pédagogie. Mais quand bien même la muséographie aurait été ratée, la richesse et la somptuosité de l'ensemble de la collection n'aurait pu laisser quiconque en sortir sans émerveillement. On est ici au royaume de l'esthétisme, mais vous me direz, est-ce vraiment étonnant de la part de la culture japonaise ?! Pour finir, une petite salle obscure passe en boucle des extraits de films de samouraïs, avec entre autres l'incontournable "Sept samouraïs" d'Akira Kurosawa ou les "Contes de la lune vague après la pluie" de Kenji Mizoguchi. On en ressort avec une envie de faire une orgie de sushis devant "Ran" tout en sirotant un verre de Sakura...


Samouraï, Armure du guerrier
Musée du Quai Branly
Du 8 novembre 2011 au 29 janvier 2012
Commissaire : Gabriel Barbier-Mueller


37 quai Branly
75007 Paris
01 56 61 70 00
Mardi, mercredi et dimanche de 11h a 19h
Jeudi, vendredi et samedi, de 11h a 21h8,
8,5 euros

mardi 15 novembre 2011

Goudemalion aux Arts Décoratifs : so far, so Goude !


Jean Paul Goude, l'homme du défilé du bicentenaire de la Révolution en 1989, fait l'objet d'une large rétrospective au Musée des Arts Décoratifs. Cette exposition retrace les quarante ans de carrière de cet "auteur d'images" inclassable et touche à tout. De ses dessins d'enfant, montrant déjà son don pour la narration par l'image, à ses dernières créations, on baigne dans l'univers atypique de Goude.

Accueilli par l'une des valseuses du bal du bicentenaire de la Révolution française, c'est justement cet évenément qui apparait le premier au visiteur puisqu'il est présenté dans la nef du Musée. On y découvre les détails et la génèse de ce défilé grandiose et novateur qui a marqué la mémoire des petits et des grands rivés devant leur poste de télévision ce soir de 14 juillet  1989 (ou dans les gradins pour les plus chanceux, mais ce n'était pas mon cas... Je me suis contenté de mon poste de télévision écran pas plat, coins pas carrés, pour reprendre les arguments de vente de l'époque...). Au milieu se trouve la grosse locomotive qui a remonté les Champs Elysées pour symboliser la révolution industrielle. Elle est entourée des clichés des costumes des régions de France et des pays associés qui composaient le défilé, avec les Britanniques marchant sous la pluie les Soviétiques (eh oui, nous ne sommes qu'en 1989) sous la neige. Ce défilé, que François Mitterrand et Jack Lang, alors Ministre de la culture, avaient voulu consacré à l'histoire de l'humanité et à la liberté plutôt que tourné vers la commémoration d'une période finalement relativement sombre de l'histoire de France, s'achevait sur l'image forte de Jessy Norman, enveloppée dans un immense drapeau tricolore chantant la Marseillaise place de la Concorde.
Les salles réparties autour de la nef retracent le parcours de Goude, en commençant par les dessins qu'il a réalisé enfant puis de ses première pub dans les années 60, pour Dim, Marie-Claire et Printemps. A ces premiers pas dans la pub succède sa collaboration avec le mythique magazine américain Esquire dont il devient le directeur artistique. De cette période New Yorkaise sont présentées des photographies de la fièvre festive de l'époque, de la folie disco, latino, gay, avec lesquelles il magnifie le sexe et la mixité.

Azzedine et Farida, Paris, 1985
Tirage photographique découpé et ruban adhésif
© Jean-Paul Goude
Mais le sujet phare du travail de Jean-Paul Goude, c'est le corps de la femme. L'ensemble des salles qui suivent sont consacrées aux photographies, films et compositions que lui ont inspiré ses égéries. En contractant Goude et Pygmalion, l'exposition traduit bien le travail sculpteur, de remodeleur du corps de la femme au moyen des images. De Radiah à Karen, en passant par Farida et bien sûr Grace, il allonge, raccourcit, blanchit, noircit les corps. Pour Grace Jones notamment, qui fut peut-être son modèle le plus iconique, sont montrés les procédés qui ont mis son corps en valeur, nu, allongé, blanchi ou mécanisé pour la publicité réalisée pour la CX2 de Citroën en 1987. Le découpage et la démultiplication des portions de clichés permettant de modifier, détail par détail les parties du corps de ses modèles (et de son propre corps, dans un autoportrait très valorisant !) sont fascinants.

Dans la galeries de droite, retraçant son travail pour la pub, rappelle à quel point il a fait de ce médium  a priori vulgaire un véritable art. Les publicités télévisuelles diffusées en boucle dans la salle sont toutes familières au visiteur le plus néophyte. Vanessa Paradis en oiseau en cage pour Chanel, les volets qui claquent sur fond de Prokofiev pour Chanel également, l'affrontement de la femme et du lion pour une bouteille de Perrier ou les enfants Kodak sont autant de petits films qui demeurent dans l'imaginaire collectif et qui appartiennent désormais à l'histoire de la télévision.


Les Galeries Lafayette : L’Homme, Paris, 2004
Collage
© Jean-Paul Goude

Plus récemment, les compositions réalisées pour la campagne d'affichage pour les Galeries Lafayette et côtoyées par tous les parisiens usagers du métro (pour parler en langage RATP...) montrent que Goude n'est toujours pas à cours d'idees et de créativité. Elles sont toutes rappelées dans la galerie de gauche, dédiée aux installations, par l'alignement d'écrans autour d'une salle, à raison d'une affiche par écran représentant par ailleurs chacun un quai d'une station de métro, parcourus en continu par une rame.

Cette rétrospective est donc extrêmement complète, fouillée et d'une grande qualité. Totalement inattendue pour un artiste encore très actif, mais réellement nécessaire, ne serait-ce que pour le plaisir de se rebaigner dans la folie chic et choc de ces dernières décennies.

Goudemalion
Du 11 novembre 2011 au 18 mars 2012


Musée des Arts Décoratifs
107 rue de Rivoli
75001 Paris
01 44 55 57 50
www.lesartsdecoratifs.fr


du mardi au dimanche de 11h à 18h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h
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jeudi 10 novembre 2011

Edvard Munch, l'oeil moderne

Nuit étoilée, 1922-1924
A l'évocation du nom du peintre norvégien Edvard Munch (1863-1944), une œuvre vient directement à l'esprit : le cri. Ce visage indéfinissable, déformé, posé sur un corps filiforme poussant un cri inaudible avec en toile de fond un ciel et une passerelle d'un rouge torturé. Toile expressionniste célébrissime, (ou toiles au pluriel devrait-on dire puisqu'il en existe plusieurs version, Munch ayant la manie de répeter un certains nombre de fois ses œuvres fétiches) tant exceptionnelle qu'elle est a pour inconvénient d'être l'arbre qui cache la forêt, la toile qui cache l'œuvre de son peintre. L'exposition que présente le Centre Georges Pompidou constitue une bonne aubaine de remédier à cette ignorance en permettant de saisir toute l'ampleur du travail de Munch.
Edvard Munch est né en 1863 à Løten, en Norvège d'un père médecin militaire d'une piété à toute épreuve et d'une mère morte trop tôt de la tuberculose. Après une enfance vécue dans la capitale norvégienne, Christiania à l'époque, il suit des études techniques qu'il abandonne rapidement pour l'art. Sa carrière d'artiste l'amène rapidement à s'expatrier pour Paris et Berlin où il s'intègre aux cercles artistiques et intellectuels de l'époque dans lesquels il puise ses influences.
  
L'exposition revèle les influences du peintre tout au long de sa vie, mais également et c'est ce qui est passionnant, les techniques qu'il emploie, largement inspirées des nouvelles technologies de l'époque comme la photographie et le cinéma. Munch, souvent considéré comme un artiste torturé, renfermé, coupé du monde, vision due notamment à son goût pour des sujets tels que la mort, la maladie, l'angoisse ou le crime (en témoigne sa série de peinture consacrées à l'enfant malade qu'il a peinte dès la fin du XIXe siècle), était en réalité ouvert aux débats esthétiques de l'époque et féru des nouveaux procédés de reproduction de l'image. Il s'est ainsi adonné aux plaisirs de la photographie avec son petit appareil en prenant des photos de lui-même, de scènes de rue ou de ses modèles. Ces clichés sont ensuite exploités comme modèles pour ses peintures. On peut en découvrir une cinquantaine accrochés dans le cadre de l'exposition. Ainsi, Munch s'inspire de la vision apportée par la photographie pour composer ses toiles, on y retrouve ainsi le flouté dû aux mouvements effectués sur des temps de pause trop long.
Cheval au galop, 1910-1912
Dans les années 1910, le cinéma a également été une grande source d'inspiration technique. Ce qui intéresse Munch, c'est le point de vue du spectateur, de celui qui regarde. La toile ne décrit en effet plus des scènes, mais la vision que l'on a de ces scènes, telle qu'elle est représenté par l'intermédiaire d'une caméra. Le mouvement rendu par les premiers films projetés est reproduit dans les toiles du peintre notamment par des cadrages inhabituels, coupant les personnages en premier plan. Ceci est flagrant dans la peinture inspirée de la Sortie de l'Usine Lumière à Lyon des Frères Lumière et dans celle du cheval qui s'emballe, dont est issue la toile du Cheval au galop. La peinture de Munch est alors perçue comme une fixation de l'instant, comme pourrait le faire percevoir une photographie ou un film. L'intérêt de Munch pour le cinéma est tel qu'il s'amusera lui-même à filmer quelques scènes à l'aide sa petite caméra. Cinq minutes de film sont projetées dans le cadre de l'exposition durant lesquelles Munch a capturé des scènes de rue, a demandé à un ami de passer et repasser devant la caméra...

Le Soleil, 1910-1913
Ce travail sur le regard se manifeste dans l'ensemble de l'œuvre de Munch. Les peintures qu'il consacre au phénomène de rayonnement nous montrent non pas les sujets en eux mêmes, mais la perception qu'on en a à travers l'œil humain, reproduisant ainsi par exemple l'aveuglement ressenti par notre œil lorsque nous regardons fixement le soleil. De même, lorsqu'il a à souffrir de troubles occulaires dus à une hémorragies rétinienne, il est obsédé par la nécessité de reproduire via ses pinceaux l'affection que ce mal a sur le sens de la vue. La série de tableaux qu'il livre et qui est présentée au cours de l'exposition est saississante et tellement insoupçonnée lorsqu'on n'a qu'une faible connaissance de l'œuvre du peintre. On voit en effet se succéder une série de tableaux entachés d'une large masse multicolore aux tons changeant et masquant les scènes qui se jouent au-delà.

La Rétine de l'artiste. Illusion d'optique créée par la maladie oculaire, 1930
L'exposition Munch du Centre Pompidou, qui montre à quel point Munch était préoccupé par la vision, par le sens même de la vue, modifie notre propre vision de son œuvre. La muséographie est dès plus réussies, organisée d'une manière très didactique, mettant face à face développement technologique et travail du peintre. Elle nous permet de voir autrement tout simplement.

du 21 septembre 2011 au 9 janvier 2012
11h00 - 21h00 - nocturne le jeudi 23h00 - fermé le mardi
12 €

Centre Georges Pompidou
Place Georges Pompidou
75004 Paris

vendredi 4 novembre 2011

Tannhäuser, à l'Opéra de Paris

L'Opéra de Paris a reprogrammé pour cette saison le Tannhäuser de Richard Wagner dans la mise en scène de Robert Carsen, déjà présentée en 2007. L'opéra de Wagner s'inspire des légendes germaniques du tournoi de chant de la Wartburg et de la balade de Tannhäuser. Ici, l'action se situe près de la Wartuburg au XIIIè siècle, alors que règnent les Langrave de Thuringe. Le goût pour l'art de ces dernier est à l'origine de tournois de chant entre chevaliers-chanteurs. Près de là s'élève le Venusberg, qui abrite Vénus, ses tentations et ses plaisirs, où viennent  s'égarer certains de ces chevaliers-chanteurs. Tannhäuser est l'un de ceux-ci. Dès l'ouverture, on le voit se perdre dans les bras et les draps de Vénus (nue pour l'occasion, attention sortez les jumelles). Mais au cours du premier acte, il lui fait part de sa lassitude et de son besoin de s'évader et de découvrir le monde, ce qui provoque le désespoir puis le courroux de la déesse. Tout au long de l'œuvre, Tannhäuser sera en proie à la lutte du profane et du sacré, du lucre et de la pureté, de Vénus la licencieuse et d'Elizabeth la chaste, nièce du Landgrave et outil de sa rédemption.

Côté musique et côté mise en scène, la représentation proposée par l'Opéra de Paris est parfaitement réussie. Musicalement, l'interprétation est un véritable délice. Souple et limpide, sous la direction de Sir Mark Elder, elle traduit très bien le combat entre profane et sacré qui se livre tout au long de l'œuvre. Elle sert parfaitement une partition mythique, sans alourdir ni souligner outrageusement ses accents les plus fameux, et ce même pour le chœur des pèlerins. L'ouverture nous saisit dès son entame et rien ne lasse de la première à la dernière note. La distribution des voix est irréprochable. Les interprètes de Tannhäuser, de Wolfram, du Landgrave, d'Elizabeth et de Vénus offrent des incarnations mémorables. Le passage de la rencontre des chevaliers-chanteurs revenant de la chasse et de Tannhäuser à la fin du premier acte est un pur instant de bonheur, avec les différentes tessitures des chanteurs qui se mêlent et se répondent.

Visuellement, la mise en scène dépouillée mais très esthétique de Carsen est en toute objectivité un délice. L'idée de transposer un tournoi de chant en concours pictural est astucieuse et illustre bien les  sensibilités artistiques des protagonistes, la recherche du beau et les sources d'inspirations de Tannhäuser. On pourra reprocher un peu trop de statisme lors de la séparation de Tannhäuser et de Vénus, qui au bout d'un moment donne envie de filer un coup de main à ce pauvre Tannhäuser pour se débarrasser de la déesse... En revanche, l'affrontement des chevaliers-chanteurs dans le deuxième acte est un moment exquis. De même la représentation des pêchers des pèlerins par des toiles et de leur absolution par des cadres vide est somptueuse. Enfin, l'idée, dans le deuxième acte, de se faire se déplacer les chanteurs dans la salle au milieu du public pour figurer l'extérieur de la Wartburg est plus qu'intéressante et originale. Un bémol toutefois concernant cette mise en scène, malgré sa beauté elle ne permet pas de saisir toute la profondeur et la spiritualité de l'œuvre de Wagner. Elle ne fait que caresser en surface tout le code de l'honneur des chevalier-chanteurs qui sont ici des peintres amis de Tannhäuser. De même, l'enjeu de l'absolution papale n'est pas suffisamment mise en valeur notamment dans son rapport l'union de Tannhäuser et d'Elizabeth. Enfin, la mort d'Elizabeth et de Tannhäuser (oui, oui, ceci est un spoiler...) est complètement éludée. On a limite l'impression d'un happy ending avec des retrouvailles... Alors que ces retrouvailles ne se font que dans la mort.

Tout est donc impeccable dans la représentation de Tannhäuser offerte par l'Opéra de Paris. Innovante, méticuleuse, esthétique, la mise en scène souffre seulement d'un léger décalage avec le propos de l'œuvre composée et écrite par Wagner. Toutefois, la qualité du spectacle vaut bien que l'on s'en accommode.

"Tannhäuser"  opéra en trois actes de Richard Wagner, livret du compositeur
Direction musicale : Sir Mark Elder
Mise en scène : Robert Carsen
Chef du Choeur : Patrick Marie Aubert

Christof Fischesser : Hermann
Christopher Ventris : Tannhäuser
Stéphane Degout : Wolfram von Eschenbach
Stanislas De Barbeyrac : Walther von der Vogelweide
Tomasz Konieczny : Biterolf
Eric Huchet : Heinrich der Schreiber
Wojtek Smilek : Reinmar von Zweter
Nina Stemme : Elizabeth
Sophie Koch : Venus

Orchestre et choeur de l'Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeur des enfants de l'Opéra national de Paris

Opéra Bastille
Place de la Bastille