lundi 3 novembre 2014

William Forsythe et le Semperoper Ballett au Théâtre de la Ville

C'est l'automne, les journées raccourcissent, l'été tire sa révérence et les arbres s'habillent d'ocre... Voilà pour le cliché. L'automne, c'est aussi le Festival du même nom, le Festival d'Automne, pour ceux qui ne suivraient pas. Et dans le cadre du festival, un portrait est consacré à William Forsythe à travers pas moins de six spectacles. Le temps, l'argent et autres considérations totalement terre-à-terre ne permettront, ô tristesse, pas de pouvoir assister à ces six spectacles. Un, c'est quand même dejà pas mal, surtout vue la claque que je me suis prise. Il s'agissait du programme Steptext / Neue Suite / In the Middle, Somewhat Elevated par le Semperoper Ballett de Dresde.

Pour la petite anecdote, la première fois que j'ai vu une chorégraphie de William Forsythe, c'était en 1996, avec Firstext et Enemy in the Figure. En réalité, je n'avais vu que Firstext car j'était partie à l'entracte, étant restée hermétique à ce qui se passait sur scène... Presque vingt après, je ne comprends pas pourquoi et je m'en flagelle encore ! En effet, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, puisqu'un gros paquet de spectacles de Forsythe plus tard, son travail me subjugue à chaque fois.

Les chorégraphies sont intemporelles, elles renouvellent le langage de la danse pour en faire ressortir tout ce qu'il a de plus moderne. C'est du contemporain sur pointes. Le lien entre classique et contemporain est d'ailleurs pile-poil le sujet de la deuxième chorégraphie, Neue Suite, qui enchaîne huit duos, chacun constituant un chaînon dans l'évolution de la danse et de la musique. On commence avec du Haendel et des entrechats et on termine sur la musique Thom Willems avec des contorsions et des balancés secs et géométriques. Le résultat en est que l'on passe de la moue boudeuse des déjà-vus sur les parties classiques à la langue pendante d'admiration en  l'espace de huit tableaux.

Cette chorégraphie fait aussi la transition entre les trois qui sont présentées ce soir là. Steptext révèle la modernité de Bach avec un quatuor, trois hommes en noir et une femme en rouge, qui déstructure danse et la musique par la occasion en n'hésitant pas interrompre les suites de Bach par des silences soudains. Ca s'arrête, ça redémarre et ça crée un manque. Les gestes sont d'une précision chirurgicale, les mouvement fluides et contorsionnés à la fois.

La dernière chorégraphie, In the Middle, Somewhat Elevated montre du pur Forsythe. C'est magistral, à couper le souffle tellement c'est beau. La musique de Thom Willems, n'est, il faut l'avouer, pas ce que l'on trouve de plus harmonieux, pas franchement le genre à écouter dans son salon. Mais les mouvements de danse la rendent belle. Difficile d'imaginer d'autre support. Les neuf danseurs se croisent, interagissent, enchaînent les solos et les mouvements de groupes dans une chorégraphie coupée au scalpel. Une fin de programme toute en beauté, une démonstration de génie.

Ce programme n'aura été présenté que trois soirs et uniquement au Théâtre de la Ville, toutefois le Festival d'Automne programme cinq autres spectacles consacrés à Forsythe d'ici au mois de janvier 2015 : http://www.festival-automne.com/programme/portrait-william-forsythe.

Semperoper Ballett de Dresde
William Forsythe
du 28 au 30 octobre 2014

Steptext
Chorégraphie : William Forsythe
Musique : Johann Sebastian Bach
Pièce pour quatre danseurs
1985

Neue Suite
Chorégraphie : William Forsythe
Musique : Georg Friedrich Haendel, Luciano Berio, Gavin Bryars, Thom Willems, Johann Sébastian Bach
Pièce pour 18 danseurs
2012

In the Middle, Somewhat Elevated
Choregraphie : William Forsythe
Musique : Thom Willems
Pièce pour 9 danseurs
1987 


vendredi 31 octobre 2014

Le cinéma français se porte bien : Les Combattants, Hippocrate, Bande de Filles

Je profite de Bandes de Filles pour faire un petit flash-back (ou analepse pour satisfaire les amateurs de langue française et surtout de Grec ancien) sur quelques sorties de films qui font souffler un vent de renouvellement sur le 7è art français. Laissons de côté Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu, que je n'ai pas vu pour faute de vilain préjugé tenant à la certitude qu'il s'agissait du cinéma de papa, pour s'intéresser à des films plus modestes mais, tel que je le pressens, plus innovateurs.
Les Combattants, le plus musclé


Arnaud, apprenti menuisier au sein de l’entreprise familiale reprise par son frère aîné, s'entiche de Madeleine, la fille brute de décoffrage de clients de l'entreprise. Madeleine, diplômée en macroéconomie a balayé d'un revers de la main tous ses diplômes pour se concentrer sur un objectif plus ambitieux : être préparée pour la fin du monde. Elle part donc pour un stage de préparation militaire chez les para, embarquant un Arnaud transi d'amour dans son paquetage.


Une jolie comédie pas nunuche et très bien écrite. Les dialogues décalés provoquent de francs éclats de rires dans la salle, et ce sans jamais être grossiers. On a beau être chez les para, on ne tombe pas dans le comique troupier. C'est d'ailleurs assez appréciable dans cette comédie, d'y trouver la finesse de ne pas sombrer dans la caricature de l'armée. Au contraire, le film n'adopte aucune posture sur le rôle ou l'organisation de l'armée, il se contente d'y filmer l'inadaptation de ses personnages. J'ai, pour ma part, apprécié la petite leçon sur comment porter un coup pour que ça fasse mal... Pratique...


L'atout du film, ce sont ses personnages et surtout, le personne féminin, sévèrement burné, comme dirait Nanard. Adèle Haenel, avec ses épaule de nageuse, son corps encombrant et son air patibulaire le campe avec brio. Ce n'est pas simple pour Kevin Azaïs de faire le pendant de ce rouleau compresseur. Pourtant, il aurait pu être fadasse, mais il est touchant et apporte une douceur qui rééquilibre le film. Ils ont un charme fou ces deux, on s'engagerait presque.


S'il y a un bémol à marquer, je dirait que les réalisateurs n'ont pas vraiment trouvé comment bien terminer leur film, le rythme s'essouffle un peu à la fin. Rien de grave toutefois, ça ne suffit pas à effacer tout le très bon travail qui a précédé.


Les Combattants
Réalisation : Thomas Cailley
Avec : Adèle Haenel, Kévin Azaïs
1h38


Hippocrate, le plus moribond


La fin du monde, si on ne la trouve pas dans Les Combattants, on la trouve dans Hippocrate, c'est l'APHP. Benjamin, jeune interne pétri d'ambition et d'arrogance arrive dans le service de son père et est rapidement confronté à un monde hospitalier qu'on ne trouve pas dans les livres de fac. Il doit composer avec les gardes interminables, les susceptibilités de chacun et surtout le manque de moyens. Il est épaulé, dans cette galère par Abdel, un interne étranger bien plus expérimenté.


Si on a échappé au comique troupier dans Les Combattants, on n'échappe pas, ici, à l'humour de salle de garde. Bienvenue au pays des décorations de murs de chiottes, des ambiances faluches et des chansons paillardes. Ce n'est heureusement pas le ton du film, mais on ne peut décemment pas parler études de médecine sans aborder le côté bite-couilles-nichons. Hippocrate n'est ni une pub pour l'hôpital, ni une pub pour les étudiants en médecine ! Encore heureux que ce soit une comédie, parce que vu le sujet, traité autrement, ça aurait été sacrément plombant.


Rien à voir avec l'hôpital rutilant de Grey's anatomy ou de Dr House, qui a d'ailleurs son petit hommage dans le film, là, on est dans le royaume du glauque. C'est gris, c'est moche, pas franchement clean,  et en plus, c'est en manque de moyens. Et au milieu de tout cela, le personnel fait ce qu'il peut pour traiter les patients pour lesquels les choix médicaux dépendent plus de considérations comptables que médicales. "Allez Mamie, on va tout faire pour que tu remarches, comme ça on pourra se débarrasser de toit dans un autre service !". Sûr que le serment d'Hippocrate en prend un coup. Et le pire dans tout cela, c'est que ça ressemble quand même fichtrement à la réalité... Et c'est comme ça qu'on renouvelle la comédie ! Eh bien oui ! Les côtés les plus sordides de la réalité servent ici décors à un traitement léger de l'apprentissage de son métier par un jeune interne pétris d'ambition et de certitudes et à qui on foutrait des claques, mais qui, ouf, revient par la suite un peu sur terre.


Ce jeune interne, Benjamin, c'est Vincent Lacoste, le boutonneux des beaux gosses. Il est très bien dans son rôle de benêt qui peut quand même décider de vous filer de la morphine ou non. Mais celui qui ravit la vedette, c'est Reda Kateb, en interne étranger, en réalité, médecin mais réduit à l'internat pour passer ses équivalence. Il est doux, compatissant, réaliste et professionnel. Moi patient, c'est lui que je choisis comme médecin !


Hippocrate
Réalisation : Thomas Lilti
Avec : Vincent Lacoste, Reda Kateb, Jacques Gamblin, Marianne Denicourt
1h42

Bande de Filles, le plus désespéré


Marieme, 16 ans, jeune fille issue des "quartiers prioritaires de la politique de la ville" comme l'on dit sobrement, cherche une échappatoire entre son échec scolaire, son frère tyrannique et l'ambiance grise du quartier. Elle la trouve en rejoignant un groupe de filles affranchies qui ne cherchent qu'à profiter de leur jeunesse.


Quel est l'avenir et quel est le quotidien d'une gamine black des cités aujourd'hui ? Eh bien peu de chose, en vérité. Un film sur pas grand chose peut-il donner quelque chose ? La réponse est oui. Le film n'est pas un chef d'œuvre, il souffre de quelques longueurs, mais une peinture bien vue de la vie des filles des quartiers. Pas d'éclat dramatique, pas de grandiloquence mais juste un constat d'échec social.


Le quotidien de ces petites "caillera" n'est pas bien glop. Entre zoner sur des escaliers au milieu d'une cité minérale, où il n'y a rien à faire sauf s'ennuyer comme un rat mort, aller se balader dans les magasins des centres commerciaux des Halles ou de la Défense, passer une soirée enfermée dans une chambre d'hôtel à danser sur du Rihanna, et de temps en temps une petite baston contre les filles de la cité voisine... Il n'y pas vraiment de quoi s'épanouir. Ce vide, c'est ce qui remplit le film. Elles sont coincées par la morale dictée par la citée. En dehors de l'école, il n'est de salut que dans la prostitution ou le mariage. Mère ou pute, il suffit de choisir. Mais la fille de rêve habillée et maquillée comme une star comme dans les clips de Rihanna, il vaut mieux en faire le deuil rapidement...


Marieme qui rêve d'amusement et d'indépendance cherche pendant tout le film à trouver la brèche par laquelle s'engouffrer mais est constamment ramenée vers les murs de sa cité. Les étapes de sa quête sont illustrées par ses changements de look : nattes longues / sweat-shirt, cheveux lisses / jean slim, nattes courtes / fringues Carhartt. Mais féminine ou pas, mère ou pute, pas d'autre choix.


Les quatre actrices, non professionnelles, sont très bien dans leurs personnages, mais en même temps, elles ne font que jouer leur rôle. On a de temps en temps envie de leur filer des baffes pour leur faire ouvrir les yeux  tant elles sont aveuglées par leur désir de n'en faire qu'à leur tête. En même temps, elle n'ont tellement pas grand chose qu'on peut bien leur laisser le plaisir de faire suer le monde.


Bande de Filles
Rélisation : Céline Sciamma
Avec : Kadidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Marietou Touré
1h52

lundi 27 octobre 2014

Rain, la pluie magique d'Anne-Teresa de Keersmaeker au Palais Garnier

 Rain, avec un titre comme cela, on pourrait s'attendre aux deux qualificatifs souvent associés à la pluie : triste et chiant. Ce n'est, bien entendu, ni l'un, ni l'autre, ce que je savais avant de m'installer sur ma chaise puisque je l'avais déjà vu au Théâtre de la Ville il y a un nombre d'années déjà trop indécent pour être mentionné.

Rain, c'est comme une pluie d'été, un bon gros orage sous lequel on se précipite après une forte chaleur pour la sensation de libération que cela procure. Dans un décors simple, un arc de cercle fait de cordes verticales et sur une musique hypnotique de Steve Reich, Musique pour dix-huit musiciens (dont pas moins de quatre pianos), datant de  1976, la chorégraphie de Keersmaeker est pleine fraicheur et de dynamisme. Pendant plus d'une heure, les dix danseurs courent sur la scène, sautent, se portent, se retrouvent et se quittent. Je n'imagine pas l'état dans lequel il finissent à la fin du spectacle. Ils sont quasiment toujours sur scène, c'est à la limite de la performance surhumaine. Une petite pensée aussi pour les joueurs de xylophone qui pendant plus d'une heure jouent les mêmes notes sans s'arrêter, ils doivent avoir des bras Kruppstahl...

La précision des mouvements est millimétrique. Les ensembles se font et se défont. Les duos et les trios se forment au milieu de la troupe qui évolue autour, parfois pour former soudainement un ensemble coordonné avant de se disperser en courant tout aussi soudainement. Ça virevolte, ça sautille, ça lance les bras et les jambes, ça fiche une grosse claque de bonheur.

Les costumes sont signés Dries Van Noten. Simples et beaux, ils sont un élément dynamique de la mise en scène puisque qu'il évoluent par touches de rose, vieux ou électrique, au fur et à mesure que la chorégraphie se déroule.

Le tout offre un spectacle hypnotique qui nous tient de la première à la dernière seconde.


Rain
Chorégraphie : Anne-Térésa de Keersmaeker (2001)
Musique : Steve Reich, Musique for eighteen musicians (1976)
Décors et lumières : Jan Versweyveld
Costumes : Dries Van Noten

Opéra de Paris
Palais Garnier
du 21 octobre au 7 novembre 2014
1h10
10 à 121 €



dimanche 12 octobre 2014

Niki de Saint Phalle au Grand Palais

L'exposition Niki de Saint-Phalle est typiquement le genre d'exposition qui remplit les salles d'exposition de visiteurs. J'avais d'ailleurs pris soin de réserver mon billet à l'avance, m'imaginant le Grand Palais pris d’assaut. Même pas... Certes, il y avait quelque file d'attente, mais rien en comparaison de la folie que peuvent provoquer certaines grandes expositions comme Hopper l’année dernière. Pourtant, il y aurait plusieurs raison d'emballer les foules. Niki de Saint-Phalle s'exprimait de maniere plutot ludique et joyeuse et son feminisme est pile dans l'air du temps.

Tout au long du parcours, des photos de Niki de Saint Phalle, Niki pour Catherine Marie-Agnès, (pas facile à porter dans la vie de tous les jours) sont exposées en grand à coté de ses œuvres. C'est curieux de voir le visage de petite fille aux grands yeux a la Audrey Hepburn à coté de ses créations totalement déjantées. Elle était quand même complètement barrée la dame, et ça détonne un chouïa avec le physique de petite fille BSTR.

Les œuvres du début sont sans grand intérêt. Elle prend un peu de Jasper Johns, un peu de Jackson Pollock, les verse dans le saladier et remue bien avec la cuiller en bois pour donner des œuvres à mi-chemin entre les deux. Il est manifeste qu'elle se cherchait encore. Si elle était restée sur ce créneau, elle ne serait certainement pas parvenu à son niveau de célébrité. On y trouve toutefois un thème qui demeurera tout au long de sa vie et qui marie violence et jeu. Elle casse des jouets, elle embellit la mort et la disgrâce, elle explose les canons de la beauté occidentale.

Les nanas, les premières sculptures de grosses femmes en laine et en carton, apparaissent assez tôt dans la carrière de Saint Phalle et on se sent plus en terrain connu qu'auparavant. Les nanas, c'est un hit artistique, l’équivalent du bulldog de Julien Marinetti d'aujourd'hui, la sculpture qui garantit de trouver son public, qui se décline à l'envi et qui fait chauffer le tiroir-caisse. Avec ses couleurs et ses rondeurs, bien plus facile a habiller un intérieur qu'un Innocent X de Bacon. Alors, forcement, le filon sera exploite longtemps. Petite aparté, l'un des intérêts de cette expo est d'ailleurs la façon dont elle a exploité les liens entre art et société de consommation pour financer ses projets, comme le Jardin des Tarots en Toscane. Plus qu'une artiste, c'est un chef d'entreprise avec un modèle économique d'exploitation de ses talents.

Ce qui est amusant avec les nanas, c'est que Saint Phalle les utilise pour sous-tendre une idéologie féministe. Elles font penser aux Venus préhistoriques callipyges, ce qui, a priori, n’était pas une représentation libératrice de la femme mais plutôt qui la confortait dans l'image de pondeuse de mouflets. Avec Saint Phalle, justement, ces postérieurs généreux symbolisent l'affranchissement des canons de la beauté de l’époque. Cela résonne singulièrement avec le passe de mannequin de l'artiste. Les nanas reprennent ainsi le pouvoir, elles sont surdimensionnées pour en imposer aux hommes. De même, la fonction procréatrice de la femme est décomplexée pour être la quintessence de la création portée à son sommet, les hommes ne pouvant y prétendre. Certaines étaient gigantesques et exposées en extérieur, pour que tous puissent y avoir accès. C'est le cas de Hon, exposée en Suède et dans laquelle les visiteurs pouvaient pénétrer (le mot est méticuleusement choisi...).

La femme est portée aux nues par les nanas, mais elle en prend pour son grade avec les mères dévorantes. Les principes et les procédés sont les mêmes mais les sujets sont plus grinçants, moins joyeux et au final moins flatteurs pour les femmes. Les rondeurs sont tout de suite beaucoup moins avantageuses, bonjour les seins en gants de toilette et les culottes de cheval. 

L'exposition se termine sur l'autre objet de la célébrité de Niki de Saint Phalle, le tir à la carabine. Un nouveau moyen de lier jeu et violence et une utilisation subtile des médias par l'art. Le principe consistait à tirer à la carabine sur des tableaux ou des objets remplis de sachets de peinture et recouverts de plâtre blanc, le tout devant une camera. La création par la destruction. Le résultat est une œuvre unique dictée par le hasard, impossible a imiter, mais en toute honnêteté, au-delà du cote fun du tir, ce résultat en lui-même est quand même d'un intérêt limité. Elle a développée ce procédé en tirant sur des tableaux représentant la guerre ou les églises (je suis surprise que les gugusses de la manif pour tous ne se mettent pas a faire un sitting devant le Grand Palais). Elle aurait aussi pu en faire un avec Richard Clayderman, elle aurait pu tirer sur le pianiste...

Je me suis bien amusée, j'ai lu toutes les lettres dessinées étalées sur les murs, ai pris des couleurs plein les mirettes, mais bon... L'impression générale est qu’au-delà des aspects ludiques et provocateurs, j'ai eu du mal a y trouver de la profondeur.

Grand Palais
17 septembre 2014 - 2 février 2015
Tous les jours sauf le mardi
10h00 - 22h00 (20h00 les dimanche et lundi)
13 euros

mercredi 24 septembre 2014

Ach, le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville

Mutter Courage und ihre Kinder

Cela fait deux ans que je m'étais abstenue de reprendre un abonnement au Théâtre de la Ville. A mon goût, la programmation s'égarait vers le bizarre, multipliant les expériences douloureuses pour le spectateur. Mais il est des sirènes auxquelles on ne peut résister. Bertolt Brecht en fait partie, particulièrement quand il est joué par SA compagnie : le Berliner Ensemble. D'autant plus que la production vient marquer les 60 ans de la première représentation de Mutter Courage au Théâtre Sarah-Bernhardt, l'ancêtre à l'italienne du Théâtre de la Ville.

Le problème avec les expectatives, c'est qu'elles sont souvent déçues. Voici une belle exception qui vient confirmer cette méchante règle. Ceci-dit, je le concède, le Berliner Ensemble, c'est quand même une valeur sure et on ne prend pas beaucoup de risque. C'est un peu l'équivalent au théâtre de l'obligation d'Etat allemande en finance, on peut lui faire confiance et sortir son portefeuille. Il s'agit par ailleurs d'une mise en scène de Claus Peymann, le directeur du Berliner Ensemble, qui date de 2005 et qui a déjà pas mal tourné. Autant dire qu'elle a eu le temps de faire ses preuves.

Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.

Mutter Courage est la métaphore de l'absurdité de la guerre et de l'aveuglement de ceux qui veulent s'enrichir sur son dos. Au cours de la guerre de trente ans qui oppose catholique et protestants, Mutter Courage, la vivandière Anna Fierling, ne veut pas s'engager, elle veut profiter de l'opportunité de la guerre pour s'enrichir avec son commerce de menus produits et provisions auprès des régiments. Elle y perdra tous ses enfants, incapable d'apprendre de ses malheurs. Par cette pièce, écrite en 1939, pendant son exil en Scandinavie, Brecht fustige les Etats scandinaves qui, sous couvert de neutralité, profitent du conflit mondial pour faire fructifier leur économie.

La scène est très sobre. Ronde, elle symbolise l'incapacité de Mutter Courage à évoluer et apprendre de ses revers. Elle fait aussi penser au cercle du Cercle de craie caucasien, je ne sais pas si c'est intentionnel. Elle y balade inlassablement sa carriole, aidée de ses enfants ou du moins de ce qu'il en reste au fur et à mesure que l'histoire se déroule. On retrouve dans la mise en scène l'esprit de cabaret allemand avec une gaîté mâtinée de gravité. Carmen-Maja Antoni campe une Mutter Courage d'exception, truculente, gouailleuse, espiègle, en en même temps, elle porte en elle tous les stigmates de la misère des petites gens coincés au milieu des conflits qui les dépassent. Les comédiens sont impeccables et je remet un prix spécial d'interprétation à la jeune fille qui joue la muette. Son expressivité rend son mutisme sonore. Sans prononcer un mot, elle nous en dit plus que nombre d'ectoplasmes au charisme d'huître que l'on retrouve régulièrement sur les planches.

Comble du plaisir pour moi, la pièce est jouée en Allemand. Ce plaisir n'est pas forcément partagé par tous, j'en conviens, il suffit de le demander à mon voisin de gauche... Non, ne lui demandons pas, laissons le dormir. Pour les amoureux de la langue allemande, c'est de la musique pour les oreilles, même en dehors des parties chantées. L'atmosphère conserve je ne sais quoi de glauque propre au cabaret des années trente, avec des personnages comme la fille de joie peu ragoutante et l'ecclésiastique à la morale élastique.

60 ans plus tard, la pièce ne prend pas une ride, ni par son propos, ni par son texte, ni par son esprit. On partageait ce soir là, un bonheur rare.

Et le requin, il a des dents...

Pour les 60 ans de la première venue du Berliner Ensemble à Paris, le Théâtre de la Ville a exceptionnellement programmé deux soirées de revue du Berliner Ensemble exclusivement consacrées aux chanson des pièces de Brecht. Le titre Et le requin, il a des dents... est emprunté à la plus célèbre d'entre toute,  celle de Mackie Messer dans l'Opéra de quat'sous Après le moment de grâce de Mutter Courage, je me suis donc précipitée sur les places restantes pour la soirée du 23 septembre. Je ne saurai résister à l'appel des complaintes de putes et de truands !

Le programme a de quoi allécher le chaland : des extraits de presque chaque pièce de Bertolt Brecht chantées par la crème de la crème des comédiens allemands. C'est charmant, on replonge dans le théâtre de Brecht à travers ses chansons. Toutefois, cela manque parfois un peu de souffle pour que la folie emporte la salle. Il y a de très beaux moments, très forts, et le tout donne surtout envie de faire une orgie de théâtre brechtien. C'est une mise en bouche pour se replonger dans l'œuvre dans son ensemble. J'espère que les librairies allemandes de Paris ont refait leurs stocks. J'arrive !

Bien sûr, les chansons sont inégales. Kurt Weill a, par exemple, plus de talent de compositeur que d'autres collaborateurs de Brecht. D'ailleurs, une petite déception est la façon dont la complainte de Mackie Messer a été expédiée. Ecourtée et à peine chantée, elle n'a pas vraiment été mise en valeur. Mais peut-être que son statut de hit international aurait fait trop d'ombre aux autres chansons. Ca se discute.

Dans l'ensemble ce fut une très bonne soirée et les comédiens sont irréprochables même en musique. Le jeune muette de Mutter Courage a vraiment une voix ! Les chansons sont incarnées, à l'exemple de la chanson où une prostituée et une nonne, en interprétant quasiment les mêmes paroles leurs donnent un sens totalement contraire, un véritable délice.

Mutter Courage und Ihre Kinder
Bertolt Brecht
par la troupe du Berliner Ensemble
Mise en scène Claus Peymann
17 au 26 septembre 2014
3h20 avec entracte

Et le requin, il a des dents...
Revue du Berliner Ensemble
Mise en scène Manfred Karge
19 et 23 septembre 2014
1h20

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet
75 004 Paris
www.theatredelaville-paris.com

2 place du Châtelet

lundi 8 septembre 2014

Two Cigarettes in the Dark : un supplice de Pina Bausch et du Tanztheater Wuppertal à l'Opéra Garnier.

Qui ne se souvient par de la scène de Parle avec Elle de Pedro Almodovar, dans laquelle un homme était ému aux larmes par une scène du Café Müller de Pina Bausch ? C'est l'exemple même de la beauté de ses créations et de l'émotion qu'elle peut faire naître chez le spectateur et c'est personnellement cela que je vois quand je pense à Pina Bauch. Vous aussi ça vous a touché ? Alors passez votre chemin devant la porte de l'Opéra Garnier et le Two Cigarettes In the Dark présenté par le Tanztheater Wuppertal, la troupe créée par Pina Bausch. C'est la triste vérité, Pina Bausch aussi, a commis des grosses supercheries. Parce que oui, il y en a d'autres. C'est que je m'étais déjà fait avoir au Théâtre de la Ville ! Du coup, même crime, même sentence, je suis partie avant la fin : à l'entracte au Théâtre de la Ville, avant à l'Opéra.

Créée en 1985, Two Cigarettes in the Dark n'avait jamais été donnée à Paris... On comprend pourquoi. Pour résumer : c'est un spectacle de danse, mais sans danse. Un truc hyper révolutionnaire en somme. Ca me donne envie d'écrire un livre, mais sans mot... Je pense que je tiens un chef d'œuvre ! Dans une succession de saynètes sans intérêt, des personnages passent dans le décors blanc en prononçant des bribes de dialogues dont certaines se veulent burlesques, mais qui sont au mieux creuses, au pire vulgaires. Il parait que ça se veut drôle... Ben...  Des fois, on n'a pas toujours ce qu'on veut... Rien de mieux pour illustrer la plaisanterie comme quoi l'humour allemand, c'est l'humour juif mais sans l'humour. La preuve : quand Offenbach écrit "où sont les petites cuillers" dans Tulipatan, c'est drôle, mais quand Pina Bausch écrit "Ramon où sont mes chaussettes", on rit beaucoup moins. Et encore, c'est plus drôle quand je l'écris que sur la scène de Garnier, c'est dire. C'est pipi-caca-prout, mais avec du Champagne, des fracs et des jolis robes. Personnellement, ça ne m'intéresse pas de voir deux homme se cracher du Champagne l'un sur l'autre. De même, ont-ils l'intention de choquer en montrant deux hommes s'embrasser avec du rouge à lèvre ? Ce n'est pas parce qu'on est à l'opéra que le public est composé exclusivement des ouailles de Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Si, c'est avec ça qu'on ambitionne de bousculer l'ordre établi et choquer le bourgeois en 2014, c'est triste à pleurer. On dirait du Judd Apatow. Il paraît qu'il y a l'ambition de faire saisir toute la dimension de la violence faite aux femmes. Ah, c'est donc pour ça que certaines se font jeter par terre ou tirer les cheveux. Mouais, il ne faut pas non plus nous prendre pour des jambons. Pour l'originalité, on repassera. C'est maigre. Bref, ce spectacle n'a en réalité absolument rien à dire, sauf peut-être qu'il ne connaît pas le concept de subtilité.

Pourquoi l'Opéra de Paris a-t-il présenté cette bouse (le mot est lâché) ? Parce que ça fait vendre, me direz-vous. Bonne réponse, et la plus légitime selon moi. En ces jours de vache maigre dans le domaine de la culture, il ne faut pas cracher dans la soupe. Mais c'est aussi parce que le Tanztheater Wuppertal n'a plus que ça à offrir. C'est cruel à dire, mais sans Pina Bausch, ils sont incapables de se renouveler, non seulement artistiquement mais également sur scène. On présage d'ailleurs déjà la mort du Tanztheather Wuppertal.  Ils sont tous trop vieux pour danser, donc ne présentent plus de véritables chorégraphies. Ils prennent ce qu'il reste, des pièces pseudo-dansées sans queue ni tête et servent ça avec l'estampillage Pina Bausch. Et comme c'est du Pina Bausch, le public crie au chef d'œuvre. Forcément, on ne va pas dire du mal d'une morte. Mais je parierais que quatre-vingts pourcents des adeptes cherchent encore le sens de ce spectacle mais n'osent pas l'avouer. Pas grave, Pina Bausch a la carte et ça fait intellectuel d'aimer ça. Les plaisanteries pipi-caca sont pudiquement qualifiée d'irrévérencieuses. Mais saperlipopette, quoi ! Quand on voit ça, et quand on voit le Sacre du Printemps, tellement puissant qu'aucun autre chorégraphe ne pourra plus espérer l'égaler, quand on voir Café Müller qui a révolutionné la danse, ça énerve !

Ce spectacle est fait pour ceux qui ont la foi en Pina Bausch. J'admire son travail, je la place parmi les plus grands, mais j'ai encore mon libre-arbitre et je ne suis pas prête à gober n'importe quoi. Tant pis pour le Tanztheater Wuppertal. S'il a vécu, qu'il meure. La comedia e finita ! On ne peut vivre sur un héritage sans le faire fructifier, sans le renouveler. C'est l'exemple du défaut de transmission aux générations suivantes, quand la sélection culturelle rejoint la sélection naturelle.  Et pour moi, je paraphraserai mon ami le corbeau : je jure, certes un peu tard, que l'on ne m'y reprendra pas !

Opéra de Paris - Palais Garnier
2h31 avec entracte
1er au 7 septembre 2014.

samedi 6 septembre 2014

Sabbath's Theather, de Philip Roth

Si la Marche funèbre d'une marionnette, de Gounod, ne faisait pas autant penser à Alfred Hitchcock (il s'agissait du générique de son émission Alfred Hitchcock presents), elle s'appliquerait à merveille à la lecture de Sabbath's Theater de Philip Roth. On y trouve le même burlesque macabre et... des marionnettes.

Comment résumer ce livre... C'est  un portrait, celui de Mickey Sabbath, ancien marionnettiste irrévérencieux contraint de mettre un terme à son activité en raison de son arthrite et de son léger penchant pour ses étudiantes (ainsi que les putes ou tout autre donzelle prête à retirer sa petite culotte, il n'est pas regardant). Retiré dans un village paumé de Nouvelle Angleterre, Madamaska Falls, il est hanté par tous les personnages qui ont peuplé son passé et l'ont accompagné sur la route de sa déchéance : sa mère, son frère mort à la guerre, sa maîtresse croate, sa femme alcoolique repentie, son ex-femme disparue...

Mickey Sabbath, disons-le, est un gros dégueulasse et pas peu fier de l'être. C'est un personnage écœurant, il est sale, laid, vieux, malade et n'a que peu de considération pour son prochain. Il est désespérant, incapable de résister à ses pulsions les plus primaires. Agitez une petite culotte sale sur son chemin, il courra la langue pendante pour enfouir son visage dedans. Paumé, il est irrécupérable pour la société et que quoi qu'il fasse, il fera immanquablement les mauvais choix. Et pourtant, et pourtant... Il y a ce je ne sais quoi, qui fait que, malgré tout Sabbath reste attachant. Ses mauvais choix sont un peu des coups du sort comme s'il représentait la quintessence de la loi de Murphy. Et là, il n'y a rien à faire, on pouffe ! La scène dans laquelle il se fait surprendre par la femme de ménage de son ami, riche producteur new yorkais, alors qu'il farfouille dans la lingerie de la fille dudit ami à la recherche de photos coquines, est tout bonnement hilarante.

Incontestablement, la plume de Roth fait de ce roman, une merveille d'écriture. Je n'arrête pas de m'extasier devant sa maîtrise la narration. Je ne cacherai d'ailleurs pas que je suis une inconditionnelle de Philip Roth et qu'il est à l'heure actuelle le plus grand écrivain vivant. N'en déplaise aux méchants de l'Académie Nobel qui ont avoué qu'ils ne lui fileraient pas le prix à cause de sa nationalité américaine (l'âge ne fait rien à l'affaire disait le poète, et je en parle pas de Philip Roth bien entendu). Bref la forme est impeccable. Sur le fond, en revanche, j'ai quand même quelques petites réserves. Au bout d'un moment, le sexe crade chez les éléphants de mer, ça finit par faire remonter le petit dèj... A côté la scène du foie de veau de Portnoy Complaint relève du livre de communiante. Mais il s'agit de prétextes à l'invocation de sujet plus graves : les marionnettes du théâtre intérieur de Sabbath avec leur détresse, le chagrin de la mère du soldat mort, l'autodestruction de l'alcoolique pathologique ou la fragilité de la femme-enfant. Tous ces personnages viennent le hanter au cours de ses errements. Il s'interroge alors sur le sens de la vie, sur le bonheur que l'on ne trouve qu'une fois qu'il s'est enfui. Roth en profite alors pour dresser un portrait de l'Amérique libertaire des années soixante et soixante-dix desemparés ou rattrappés par le retour fulgurant du politiquement correct et de la morale puritaine dans les annees quatre-vingt-dix, rendant vaines toutes les guerres de leur jeunesse.

Si je ne nie pas que le livre est magistral, pour apprécier un bonbon, il faut apprécier le fourrage et l'enrobage. Et là, l'enrobage était un peu étouffe-chrétien, malgré le portrait au vitriol de l'Amerique bien-pensante qui se cache à l'intérieur.

Sabbath's Theater
Philip Roth
Vintage Books, London, 471 pages.