mercredi 24 septembre 2014

Ach, le Berliner Ensemble au Théâtre de la Ville

Mutter Courage und ihre Kinder

Cela fait deux ans que je m'étais abstenue de reprendre un abonnement au Théâtre de la Ville. A mon goût, la programmation s'égarait vers le bizarre, multipliant les expériences douloureuses pour le spectateur. Mais il est des sirènes auxquelles on ne peut résister. Bertolt Brecht en fait partie, particulièrement quand il est joué par SA compagnie : le Berliner Ensemble. D'autant plus que la production vient marquer les 60 ans de la première représentation de Mutter Courage au Théâtre Sarah-Bernhardt, l'ancêtre à l'italienne du Théâtre de la Ville.

Le problème avec les expectatives, c'est qu'elles sont souvent déçues. Voici une belle exception qui vient confirmer cette méchante règle. Ceci-dit, je le concède, le Berliner Ensemble, c'est quand même une valeur sure et on ne prend pas beaucoup de risque. C'est un peu l'équivalent au théâtre de l'obligation d'Etat allemande en finance, on peut lui faire confiance et sortir son portefeuille. Il s'agit par ailleurs d'une mise en scène de Claus Peymann, le directeur du Berliner Ensemble, qui date de 2005 et qui a déjà pas mal tourné. Autant dire qu'elle a eu le temps de faire ses preuves.

Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne combat pas a déjà perdu.

Mutter Courage est la métaphore de l'absurdité de la guerre et de l'aveuglement de ceux qui veulent s'enrichir sur son dos. Au cours de la guerre de trente ans qui oppose catholique et protestants, Mutter Courage, la vivandière Anna Fierling, ne veut pas s'engager, elle veut profiter de l'opportunité de la guerre pour s'enrichir avec son commerce de menus produits et provisions auprès des régiments. Elle y perdra tous ses enfants, incapable d'apprendre de ses malheurs. Par cette pièce, écrite en 1939, pendant son exil en Scandinavie, Brecht fustige les Etats scandinaves qui, sous couvert de neutralité, profitent du conflit mondial pour faire fructifier leur économie.

La scène est très sobre. Ronde, elle symbolise l'incapacité de Mutter Courage à évoluer et apprendre de ses revers. Elle fait aussi penser au cercle du Cercle de craie caucasien, je ne sais pas si c'est intentionnel. Elle y balade inlassablement sa carriole, aidée de ses enfants ou du moins de ce qu'il en reste au fur et à mesure que l'histoire se déroule. On retrouve dans la mise en scène l'esprit de cabaret allemand avec une gaîté mâtinée de gravité. Carmen-Maja Antoni campe une Mutter Courage d'exception, truculente, gouailleuse, espiègle, en en même temps, elle porte en elle tous les stigmates de la misère des petites gens coincés au milieu des conflits qui les dépassent. Les comédiens sont impeccables et je remet un prix spécial d'interprétation à la jeune fille qui joue la muette. Son expressivité rend son mutisme sonore. Sans prononcer un mot, elle nous en dit plus que nombre d'ectoplasmes au charisme d'huître que l'on retrouve régulièrement sur les planches.

Comble du plaisir pour moi, la pièce est jouée en Allemand. Ce plaisir n'est pas forcément partagé par tous, j'en conviens, il suffit de le demander à mon voisin de gauche... Non, ne lui demandons pas, laissons le dormir. Pour les amoureux de la langue allemande, c'est de la musique pour les oreilles, même en dehors des parties chantées. L'atmosphère conserve je ne sais quoi de glauque propre au cabaret des années trente, avec des personnages comme la fille de joie peu ragoutante et l'ecclésiastique à la morale élastique.

60 ans plus tard, la pièce ne prend pas une ride, ni par son propos, ni par son texte, ni par son esprit. On partageait ce soir là, un bonheur rare.

Et le requin, il a des dents...

Pour les 60 ans de la première venue du Berliner Ensemble à Paris, le Théâtre de la Ville a exceptionnellement programmé deux soirées de revue du Berliner Ensemble exclusivement consacrées aux chanson des pièces de Brecht. Le titre Et le requin, il a des dents... est emprunté à la plus célèbre d'entre toute,  celle de Mackie Messer dans l'Opéra de quat'sous Après le moment de grâce de Mutter Courage, je me suis donc précipitée sur les places restantes pour la soirée du 23 septembre. Je ne saurai résister à l'appel des complaintes de putes et de truands !

Le programme a de quoi allécher le chaland : des extraits de presque chaque pièce de Bertolt Brecht chantées par la crème de la crème des comédiens allemands. C'est charmant, on replonge dans le théâtre de Brecht à travers ses chansons. Toutefois, cela manque parfois un peu de souffle pour que la folie emporte la salle. Il y a de très beaux moments, très forts, et le tout donne surtout envie de faire une orgie de théâtre brechtien. C'est une mise en bouche pour se replonger dans l'œuvre dans son ensemble. J'espère que les librairies allemandes de Paris ont refait leurs stocks. J'arrive !

Bien sûr, les chansons sont inégales. Kurt Weill a, par exemple, plus de talent de compositeur que d'autres collaborateurs de Brecht. D'ailleurs, une petite déception est la façon dont la complainte de Mackie Messer a été expédiée. Ecourtée et à peine chantée, elle n'a pas vraiment été mise en valeur. Mais peut-être que son statut de hit international aurait fait trop d'ombre aux autres chansons. Ca se discute.

Dans l'ensemble ce fut une très bonne soirée et les comédiens sont irréprochables même en musique. Le jeune muette de Mutter Courage a vraiment une voix ! Les chansons sont incarnées, à l'exemple de la chanson où une prostituée et une nonne, en interprétant quasiment les mêmes paroles leurs donnent un sens totalement contraire, un véritable délice.

Mutter Courage und Ihre Kinder
Bertolt Brecht
par la troupe du Berliner Ensemble
Mise en scène Claus Peymann
17 au 26 septembre 2014
3h20 avec entracte

Et le requin, il a des dents...
Revue du Berliner Ensemble
Mise en scène Manfred Karge
19 et 23 septembre 2014
1h20

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet
75 004 Paris
www.theatredelaville-paris.com

2 place du Châtelet

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