samedi 23 juillet 2011

Les Dogons au Quai Branly


C'est in extremis que j'ai enfin pu me rendre à l'exposition Dogon, organisée au Musée du Quai Branly et consacrée à l'art et la culture de cette civilisation. J'y ai porté un intérêt tout particulier, ayant eu l'occasion de passer quelques jours au pied puis au sommet de la falaise de Bandiagara vers la fin du siècle dernier. Pour rappel, les Dogons sont un peuple de l'Est du Mali occupant le Pays Dogon qui s'étend de la falaise de Bandiagara à la boucle du Niger. 

L'exposition commence par retracer l'histoire de la présence et de l'installation des différentes peuplades de la civilisation dogon en associant des exemples de leur art par la présentation de statues de bois provenant des plus grandes collections du monde. La valeur des pièces que l'on admire dans les vitrines de l'exposition est inestimable, on y trouve les plus beaux exemples de figures de cavaliers, de maternités ou de personnages aux bras levés implorant des divinités. Elle se poursuit par une impressionnante collection de masques, employés pour les cérémonies religieuses qui rythment la vie des communautés. On y trouve, en particulier, un bel exemple de masque Sirigé à étages (pour ma part, le fait de pouvoir encore tenir debout lorsqu'on se coiffe de ce masque est un mystère) et de masque Kanaga, qui représente l'oiseau du même nom. Enfin, le parcours s'achève sur une présentation succincte de l'art dogon du tissage, de la forge et des bijoux et par une brève exposition d'objets religieux.

Masque Kanaga

On ne reviendra pas sur la richesse des collections, mais cette exposition laisse comme un gout d'inachevé. Pourquoi une mise en scène aussi froide et si peu pédagogique ? La carte du début ferait rougir les pires cartes de manuels d'histoire-géo de la troisième république tant elle a oublié d'être simple et les explications fumeuses se refusent à essayer de nous apprendre quelque chose. Les plus belles pièces sont noyées au milieu de toute la collection sans aucune mise en valeur particulière, du coup, a tenter de prêter la même attention à toutes les statuettes, on la perd, l'attention... Il serait bon que les musées français aillent pêcher quelques idées de muséographie du côté de leurs homologues étrangers. Mais on dirait que la moindre suggestion de faire en sorte qu'une exposition puisse s'adresser a tous et pas uniquement aux initiés relève de la pire vulgarité. Et c'est bien dommage.

Par ailleurs, la fascination qu'exerce sur moi la civilisation dogon réside dans le mystère de ses croyances. Or cet aspect est vaguement abordé, mais rapidement balayé. Les commissaires d'exposition se sont certainement dit que tout visiteur qui se respecte sait parfaitement ce qu'est le Nommo, le Hogon, le Sigui et taquine déjà les petits renards devins. Pourtant, il y aurait quand même un peu plus à dire sur une civilisation qui est capable d'intégrer à sa cosmogonie des faits astronomiques invisibles à l'œil nu et de fêter à la date exacte un alignement d'étoiles qui n'intervient qu'environ tous les soixante ans sans avoir aucun moyen de les observer...

J'ai apprécié cette exposition parce que déjà familiarisée avec la culture, l'histoire et les croyances dogons, mais je crains que beaucoup n'aient pu en profiter autant que moi en raison des choix de présentation. De toutes façons, cette exposition s'achevant le 24 juillet 2011, j'invite plutôt les intéressés à se plonger dans les écrits de Marcel Griaule, qui a vécu parmi les Dogons, et notamment "Dieu d'eau, entretiens avec Ogotemmêli", qui décrit pour la première fois la cosmogonie dogon.

Exposition "Dogon" au Musée du Quai Branly
du 5 avril au 24 juillet 2011
Commissariat : Helene LELOUP


samedi 16 juillet 2011

L'impuissance face au Nemesis


32e opus de son oeuvre, "Nemesis" marque le retour de Philip Roth dans le Newark de son enfance. Newark, ce concentré d'Amérique dans lequel peuvent se réaliser les plus grand rêves comme se jouer les plus grandes tragédies.

"Nemesis" nous ramène donc a Newark, sous la canicule de l'été 1944. Alors que la jeunesse de Weequahic, le quartier dans lequel a grandi Roth, se bat en Europe et dans le Pacifique, une violente épidémie de polio frappe les enfants des familles les plus modestes. La peur, la panique s'abattent alors sur l'ensemble de la ville où chacun cherche un responsable ou pour le moins une cause à ce nouveau châtiment. Bucky Cantor, jeune instructeur d'éducation physique, responsable de la surveillance d'un terrain de jeux ou tous les enfants du quartier viennent frapper la balle, observe en témoin impuissant le fléau condamnant l'un après l'autre les enfants à la mort ou à l'infirmité.

L'histoire qui nous est ici contée nous plonge dans un profond malaise. Le réalisme avec lequel nous est décrite l'injustice qui frappe les enfants juifs de Weequahic est terrifiant. Ce sentiment est décuplé par l'impuissance de tous face à cette épidémie, celle des autorités, celle des parents, certains tremblant déjà pour leur ainés partis à la guerre, et surtout celle de Bucky Cantor. Cantor, ce modèle de virilité telle que vénérée par la société américaine (qui n'est pas sans rappeler le Swede Levov d'American pastoral), jeune, athlétique, droit et bon, mais incapable d'enrayer le destin de victimes innocentes, attaquées au cœur même de l'Amérique, là où les juifs devraient, en 1944, être en sécurité. La résurgence de l'anti-sémitisme, l'incompréhension face à la cruauté de Dieu, et l'effroi de Marcia, sa petite amie, sont autant de conséquences qui viennent torturer Cantor alors tiraillé entre le combat et la fuite.

Roth nous offre son plus grand art pour décrire la tragédie à laquelle assiste Cantor, son refus d'être sauvé par ceux qui l'aiment, aveuglé par son désir d'héroïsme et son abnégation. Parce que la fatalité frappe les plus faibles, Cantor se sent coupable de ne pouvoir les protéger,de demeurer indemne. Mais s'incliner devant le destin, refuser de se battre pour soi lorsqu'on ne peut se battre pour les autres, rejeter le bonheur lorsque d'autres en sont privés, à quoi cela peut-il mener ? Philip Roth l'a dit, le bonheur ne l'intéresse pas, nous sommes prévenus.

Ce retour à Newark est magistral. Les esprits chagrins qui ont déploré les deniers livres de Roth sur la décrépitude du corps et l'impuissance de l'homme vieillissant, impuissance sexuelle cette fois-ci, réduisant ses écrits à ceux d'un pervers pépère n'étant plus capable que de pleurer sur sa prostate peuvent ravaler leurs critiques. Jouant comme toujours subtilement avec sa propre histoire, adoptant le ragrd d'un enfant de Weequahic qui aurait pu être lui, il signe ici un retour à la gravite et nous démontre qu'il est aussi prodigieux lorsqu'il parle du désir d'un auteur vieillissant que lorsqu'il se confronte aux fléaux du siècle.

Nemesis, Philip ROTH, Random House, UK, 2010, 280 pages
http://www.rbooks.co.uk/product.aspx?id=0224089536