jeudi 19 juin 2014

La Traviata, mise en scène par Jacquot à l'Opéra Bastille

Avec la Traviata, Giuseppe Verdi et Benoît Jacquot offrent trois rares heures de grâce. Qu'Olivier Py y prenne de la graine car lorsqu'il touche Verdi, lui, c'est plutôt trois heures de crasse (je ne me suis toujours pas remise de son ignoble Aïda), Benoît Jacquot, en revanche, ne cherche pas à mettre son égo en avant, il met son talent au service de la musique. La mise en scène est une succession de tableaux à la fois somptueux et sobres cherchant à recréer l’atmosphère des apparentements des poules entretenues du XIXème siècle. Oui parce que, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, la Traviata, c'est l'adaptation de la Dame aux camélias et ,attention, spoiler, elle meurt à la fin. Bref, si on aime Jacquot au cinéma avec ses intérieur éclairés à la bougie, ses étoffes qui bruissent et ses planchers qui craquent, on est dans son élément.

La soirée s'est annoncée très bonne dès le départ. Toutefois, pour moi, la Traviata commence toujours  par un regret, le brindisi arrive trop tôt, trop vite. Le plus gros tube de cet opéra et peut-être de toute l’œuvre de Verdi arrive dès le début et je ne me sens jamais déjà suffisamment plongée dans la musique et l'histoire pour l’apprécier à sa juste mesure. Et du coup, ce n'est forcement pas mon air préféré. En parlant de tubes, la Traviata, opéra aux multiples tubes, souffre aussi d'une surutilisation de ses arias par le cinéma et la publicité qui peut marquer éternellement les plus belles partitions et vous gâcher votre plaisir. Ainsi, lorsque j'entends le sempre libera, je ne peux pas ne pas voir Guy Pearce dans Priscilla, folle du désert, perché sur son camion, son maquillage à la truelle et son fichu argenté volant dans le vent. Mais pour le coup, c'est plutôt agréable et ça ne dénature pas l’opéra, ce serait même un contrexemple, une sorte de petit plus qui fasse encore plus jouir du moment. En revanche, je maudirai jusqu’à mon dernier souffle l'agence de pub qui a osé utiliser le chœur des bohémiens pour faire la pub de serviettes hygiéniques ! Eh oui, il ne m'est plus possible de l'entendre sans penser à Vania Pocket et imaginer des femmes en tenues pastels des années 80 se passer de main en main des trucs de filles. C'est criminel de faire ça ! 

Heureusement, il y a tout le reste. Et Ludovic Tézier... Il est parfait dans le rôle du père d'Alfredo. La scène où il négocie avec Violetta (la Traviata) pour qu'elle s’éloigne de son fils et cesse ainsi d'entacher la réputation de sa famille est poignante. Sa voix grave est pure et puissante. Elle traduit l’émotion du père suivant son devoir bien que touché par cette fille de mauvaise vie. Assis sous le chêne recréé sur scène (Bravo Jacquot), les voix de Violetta et Germont s’emmêlent, cherchent à convaincre, à attendrir. La scène est sublime, touchante et effroyable à la fois.

La dernière représentation est ce vendredi 20 juin et de toute façon, c'est archicomplet, mais cet opéra figure déjà au programme de la saison prochaine. Une occasion à ne pas laisser passer.


La Traviata
Giuseppe Verdi
Opera de Paris - Bastille
www.operadeparis.fr

Direction musicale : Francesco Ivan Ciampa
Mise en scène : Benoît Jacquot
Violetta : Diana Damrau
Alfredo : Francesco Demuro
Germont : Ludovic Tézier


du 2 au 20 juin 2014
du 8 septembre au 12 octobre 2014

jeudi 12 juin 2014

Le Cinéma en plein air de la Villette, les ados à l'honneur

Trop de la balle, délire, ça déchire... C'est le moment de ressortir les bonnes vieilles expressions des années 90 pour moi. Oh, non, en fait, ça craint trop... Mais, pourquoi en fait ? Parce que le Cinéma en plein air de la Villette a dévoile son programme et il est cette année consacré à l'adolescence sous toutes ses coutures, aux adolescents avec tous leurs boutons, bref, aux "Adolescences". Oué ! l'occasion de replonger avec nostalgie dans l'âge ingrat. Il y en a pour tous les gouts : comédie, tragédie, horreur... A regarder avec un bon pique-nique, sur un transat (que l'on peut louer 7 euros) ou assis sur son blouson, comme à l’époque. Maintenant, il suffit de souhaiter que l’été ne soit pas pourri.

Programme (films en VO sous-titrés en Francais) :
23 juillet 2014 : The We and I (Michel Gondry)
24 juillet 2014 : Moonrise Kingdom (Wes Anderson)
25 juillet 2014 : Camille redouble (Noémie Lvovsky)
26 juillet 2014 : Scream 4 (Wes Craven)
27 juillet 2014 : Quadrophenia (Franc Roddam)
30 juillet 2014 : Le dernier été de la Boyita (Julia Solomonoff)
31 juillet 2014 : A nos amours (Maurice Pialat)
1er août 2014 : Les enfants loups (Ame & Yuki - Mamoru Hosoda)
2 août 2014 : American Graffiti (George Lucas)
6 août 2014 : 17 filles (Muriel et Delphine Coulin)
7 août 2014 : Sweet sixteen (Ken Loach)
8 août 2014 : Hairspray (John Waters)
9 août 2014 : Chacun cherche son chat (Cédric Klapisch)
10 août 2014 : A bout de course (Sydney Lumet)
13 août 2014 : Martha Marcy May Marlene (Sean Durkin)
14 août 2014 : Pauline à la plage (Eric Rohmer)
15 août 2014 : Somewhere (Sofia Coppola)
16 août 2014 : Carrie au bal du diable (Brian de Palma)
17 août 2014 : Lolita (Stanley Kubrick)
20 août 2014 : L’été de Giacomo (Alessandro Comodin)
21 août 2014 : Half Nelson (Ryan Fleck)
22 août 2014 : Les beaux gosses (Riad Sattouf)
23 août 2014 : Elefant (Gus van Sant)
24 août 2014 : Fame (Alan Parker)

Cinéma en plein air
Prairie du triangle
Métro : Porte de Pantin
Parking : Parc de la Villette nord

Les séances commencent à la tombée de la nuit.

mardi 10 juin 2014

La petite communiste qui ne souriait jamais

Voici le fruit du hasard. J'avais entendu des critiques élogieuses sur "La petite communiste qui ne souriait jamais" de Lola Lafon mais ne pensait pas le lire pour autant... Eh bien, oui, ce qui est très dommage avec le temps, c'est qu'il n'est pas extensible et les désirs de lecture s'empilent sur mon bureau. Il aura donc fallu un petit frisson de panique dans le RER B en direction d'Orly, au moment où je me suis rendue compte que je n'avais pas pris de livre supplémentaire pour mon week-end, alors que j'arrivais à la fin du précédent. Panique vite étouffée par la solution d'en acheter un à l'aéroport. Heureusement que cela s'est produit à Orly car il y a un magasin de produits culturels bien connu dont le nom commence par FN et finit par AC. Il ne vaut en effet, pas mieux compter sur les librairies qui croulent sous les Marc Levy, Guillaume Musso et les nuances d'E.L. James. Malgré tout le respect qu'ils méritent certainement, ce ne sont pas mes auteurs préférés... Et même auprès de ce détaillant de produits culturels, le choix fut également maigre. C'est à ce moment là que je mes yeux se sont portées sur la couverture rayonnant de rouge du livre de Lola Lafon, planqué au bas d'un présentoir.

Le livre est une biographie d'une vie de Nadia Comaneci, de son enfance à Onesti en Roumanie à sa fuite aux Etats-Unis. Une vie, car l'auteur prévient elle-même que s'il se fonde sur les événements de la vie de Comaneci, elle en fait sa propre interprétation. Les conversations entre elle et Comaneci qu'elle retranscrit à la fin de chaque chapitre, par exemple, sont totalement fictives. C'est en réalité un prétexte pour nous jeter nos réactions médiocres à la figure en nous montrant comment l'on peut porter aux nues une petite fille puis la traîner dans la boue quand elle ne correspond plus à l'idéal qu'elle avait laissé entrevoir.


En l'espace de moins d'une minute, le 18 juillet 1976, Nadia Comaneci est devenu une légende. Un 10 aux barres asymétriques et elle est devenue la petite fille que tous les parents rêvent d'avoir et que toutes les petites filles rêvent de devenir, la réussite à l'état brute avec la grâce de la prépuberté en prime. Le livre montre le revers de la médaille (olympique). La petite fille si mignonne, malgré son corps frêle possède une volonté d'acier, un tempérament de tueuse dès qu'il s'agit de gymnastique. Elle accepte et endure les pires privations que ses entraîneurs lui imposent pour l'aguerrir et devenir la meilleure. Pourtant, malgré cette volonté, de son enfance à l'âge adulte, elle reste manipulée, prisonnière du rêve qu'elle a fait naître, dépassée par sa propre image.


La terre entière a été conquise en quelques secondes en 1976. Lola Lafon rappelle les mots des journalistes, émus et émerveillés devant la petite fille à la couette qui sautille gracieusement et défie les lois de la gravité. Mais de l'attendrissement à la perversité, il n'y a qu'un pas (de gymnastique... oui, j'aime les jeux de mots pourris, et alors...). Dès que la puberté change le corps de la fillette, elle est décriée. Elle a perdu sa grâce, la sal***, elle n'est plus que prouesses techniques. La terre entière crie "rendez-nous la Nadia de Montréal". Et tout le monde de souhaiter que le nature arrête son œuvre et que le temps fixe le corps de Comaneci dans l'enfance. Qu'elle prenne des seins et des formes de femmes et tout le monde s'estime floué. Les commentaires les plus abjectes ont été écrits et prononcés pour dénoncer l'odieux assassinat de la petite fille par la femme en devenir. Messieurs les journalistes sportifs, ce livre n'est pas une ode à votre profession. Gérard H., Lionel C., si vous m'entendez...

Ajoutons à cela que Comaneci n'a pas été que le symbole de l'enfance que l'on veut éternelle, elle a aussi été le joujou du pouvoir roumain, qui ne fut pas un modèle de démocratie souvenez-vous. On ne peut pas dire que le livre soit une pub pour la Roumanie de Ceaucescu, mais là où Lola Lafon vise juste, c'est, qu'ayant passé une partie de son enfance en Roumanie, elle sait de quoi elle parle et est loin des descriptions désincarnées des régimes soviétiques, qui ont été servies dès la chute du rideau de fer. Elle montre la nostalgie dont bénéficie l'ère communiste. Eh oui, c'était toujours mieux avant, quand on était opprimés, mais solidaire, quand on manquait de tout mais que c'était le cas pour tout le monde. Ce regards attendri jeté sur les années Ceaucescu montrent qu'il faudra l'extinction de cette génération pour que la page soit définitivement tournée. Elle décrit la manipulation de Comaneci par les Ceaucescu, par Nicolae et par Nicu, le "junior" fils à papa. Nicolae en fait un symbole du modèle d'éducation à la roumaine et de la défiance face à la Russie, Nicu en fait sa maîtresse forcée. Et Comaneci en profite. En même temps, à 18 ans, a-t-on vraiment le choix ? Doit-on vraiment porter toute la responsabilité de la complaisance à l'égard d'un régime totalitaire dont tous les excès sordides sont parfaitement détaillés dans le livre ? La question reste ouverte, mais l'anathème a été rapidement jeté et personnellement, j'ai la faiblesse de penser qu'à cet âge-là, on n'est pas fini.


C'est une ode à la compassion que ce livre. Pas mal écrit, quoique qu'un peu longuet parfois, un peu répétitif aussi. Il redonne un peu de son enfance à Comaneci et lui pardonne ses mauvais choix, rendant leur responsabilité aux sangsues qui se sont nourris de son talent et lui ont confisqué son propre corps. J'avoue, ça dégoute de ses congénères, mais c'est une leçon de tolérance et de prise de recul, pas superflue en ce moment.


La petite communiste qui ne souriait jamais
Lola LAFON
Actes Sud Littéraires
Janvier 2014
320 pages
21€

mardi 3 juin 2014

Flamme Eternelle, flemme éternelle

"Allez, viens, tu vas voir, c'est génial, tout est construit en pneus et scotché et il y a même un type qui lit des livres à voix haute dans un micro !" C'est ce que m'a dit un ami pour me persuader de l'accompagner voir Flamme Éternelle, l'installation de Thomas HIRSCHHORN au Palais de Tokyo. Il faut avouer qu'il y a plus sexy comme argumentation, la perspective de me promener dans un tas de pneus ne me convaincant pas franchement. Mais j'ai quand même cédé... Rien d'autre à faire pendant ma pause déjeuner et puis ce n’était pas loin, et puis c’était gratuit... Et bien m'en a pris !

La première sensation en arrivant est l'odeur de pneus qui rappelle les moments douloureux où l'on dépose sa voiture au garage (ou pire où l'on la récupère en sachant que ça va banquer...). Puis on voit tout ce réseau de pneus formant des espaces délimités et créant des chemins dans un bric-à-brac indéfinissable, avant de descendre les escaliers et d'y pénétrer. On déambule alors dans un monde à part, imperméable au monde extérieur puisqu'une fois dedans, on en perd la notion du temps et de l'espace. Je me suis attardée à bouquiner dans le recoin librairie, mais pas trop longtemps tout de même car c'est là que se trouvait le lecteur de livre à voix haute qui s’attaquait alors à un ouvrage crypto-anarco-révolutionnaire et personnellement, je ne tiens pas deux minutes. J'en ai profiter pour aller me prendre un café au bar, assise dans un canapé enrubanné de scotch à lire les banderoles et les cartons recouverts de slogans et de phrases célèbres inachevés, à charge pour le visiteur de finir les phrases. J'ai trouvé qu'avec le mot chien, on aboutissait à un résultat intéressant... Pas de démocratie sans chien, Nos vies valent plus que vos chiens, etc. Après cela, en passant par la flamme (éternelle) qui brûle sous un tas de tôle, je me suis posée dans un canapé devant un écran de télévision sur lequel on peut diffuser tout un choix de DVD pour regarder la fin de Thelma et Louise, jouissif ! 

Tout cet amas de pneu, de carton, de polystyrène est par ailleurs évolutive. Le visiteur est invité à faire évoluer l'espace, déplacer les choses, scotcher des images qu'il peut imprimer (beaucoup d'images de chatons, ça me plait !), écrire des messages. Il faut avouer que la plupart des messages relèvent souvent du bi**, cou****, nich**, mais on peut bien être basique parfois. Pour ma part, après un moment de pure oisiveté utile, l'inspiration ma fait rebaptiser cette installation "flemme éternelle"...

Flamme Eternelle
Thomas HIRSCHHORN
13 avenue du President Wilson
76116 Paris

Jusqu'au 23 juin 2014