mardi 10 juin 2014

La petite communiste qui ne souriait jamais

Voici le fruit du hasard. J'avais entendu des critiques élogieuses sur "La petite communiste qui ne souriait jamais" de Lola Lafon mais ne pensait pas le lire pour autant... Eh bien, oui, ce qui est très dommage avec le temps, c'est qu'il n'est pas extensible et les désirs de lecture s'empilent sur mon bureau. Il aura donc fallu un petit frisson de panique dans le RER B en direction d'Orly, au moment où je me suis rendue compte que je n'avais pas pris de livre supplémentaire pour mon week-end, alors que j'arrivais à la fin du précédent. Panique vite étouffée par la solution d'en acheter un à l'aéroport. Heureusement que cela s'est produit à Orly car il y a un magasin de produits culturels bien connu dont le nom commence par FN et finit par AC. Il ne vaut en effet, pas mieux compter sur les librairies qui croulent sous les Marc Levy, Guillaume Musso et les nuances d'E.L. James. Malgré tout le respect qu'ils méritent certainement, ce ne sont pas mes auteurs préférés... Et même auprès de ce détaillant de produits culturels, le choix fut également maigre. C'est à ce moment là que je mes yeux se sont portées sur la couverture rayonnant de rouge du livre de Lola Lafon, planqué au bas d'un présentoir.

Le livre est une biographie d'une vie de Nadia Comaneci, de son enfance à Onesti en Roumanie à sa fuite aux Etats-Unis. Une vie, car l'auteur prévient elle-même que s'il se fonde sur les événements de la vie de Comaneci, elle en fait sa propre interprétation. Les conversations entre elle et Comaneci qu'elle retranscrit à la fin de chaque chapitre, par exemple, sont totalement fictives. C'est en réalité un prétexte pour nous jeter nos réactions médiocres à la figure en nous montrant comment l'on peut porter aux nues une petite fille puis la traîner dans la boue quand elle ne correspond plus à l'idéal qu'elle avait laissé entrevoir.


En l'espace de moins d'une minute, le 18 juillet 1976, Nadia Comaneci est devenu une légende. Un 10 aux barres asymétriques et elle est devenue la petite fille que tous les parents rêvent d'avoir et que toutes les petites filles rêvent de devenir, la réussite à l'état brute avec la grâce de la prépuberté en prime. Le livre montre le revers de la médaille (olympique). La petite fille si mignonne, malgré son corps frêle possède une volonté d'acier, un tempérament de tueuse dès qu'il s'agit de gymnastique. Elle accepte et endure les pires privations que ses entraîneurs lui imposent pour l'aguerrir et devenir la meilleure. Pourtant, malgré cette volonté, de son enfance à l'âge adulte, elle reste manipulée, prisonnière du rêve qu'elle a fait naître, dépassée par sa propre image.


La terre entière a été conquise en quelques secondes en 1976. Lola Lafon rappelle les mots des journalistes, émus et émerveillés devant la petite fille à la couette qui sautille gracieusement et défie les lois de la gravité. Mais de l'attendrissement à la perversité, il n'y a qu'un pas (de gymnastique... oui, j'aime les jeux de mots pourris, et alors...). Dès que la puberté change le corps de la fillette, elle est décriée. Elle a perdu sa grâce, la sal***, elle n'est plus que prouesses techniques. La terre entière crie "rendez-nous la Nadia de Montréal". Et tout le monde de souhaiter que le nature arrête son œuvre et que le temps fixe le corps de Comaneci dans l'enfance. Qu'elle prenne des seins et des formes de femmes et tout le monde s'estime floué. Les commentaires les plus abjectes ont été écrits et prononcés pour dénoncer l'odieux assassinat de la petite fille par la femme en devenir. Messieurs les journalistes sportifs, ce livre n'est pas une ode à votre profession. Gérard H., Lionel C., si vous m'entendez...

Ajoutons à cela que Comaneci n'a pas été que le symbole de l'enfance que l'on veut éternelle, elle a aussi été le joujou du pouvoir roumain, qui ne fut pas un modèle de démocratie souvenez-vous. On ne peut pas dire que le livre soit une pub pour la Roumanie de Ceaucescu, mais là où Lola Lafon vise juste, c'est, qu'ayant passé une partie de son enfance en Roumanie, elle sait de quoi elle parle et est loin des descriptions désincarnées des régimes soviétiques, qui ont été servies dès la chute du rideau de fer. Elle montre la nostalgie dont bénéficie l'ère communiste. Eh oui, c'était toujours mieux avant, quand on était opprimés, mais solidaire, quand on manquait de tout mais que c'était le cas pour tout le monde. Ce regards attendri jeté sur les années Ceaucescu montrent qu'il faudra l'extinction de cette génération pour que la page soit définitivement tournée. Elle décrit la manipulation de Comaneci par les Ceaucescu, par Nicolae et par Nicu, le "junior" fils à papa. Nicolae en fait un symbole du modèle d'éducation à la roumaine et de la défiance face à la Russie, Nicu en fait sa maîtresse forcée. Et Comaneci en profite. En même temps, à 18 ans, a-t-on vraiment le choix ? Doit-on vraiment porter toute la responsabilité de la complaisance à l'égard d'un régime totalitaire dont tous les excès sordides sont parfaitement détaillés dans le livre ? La question reste ouverte, mais l'anathème a été rapidement jeté et personnellement, j'ai la faiblesse de penser qu'à cet âge-là, on n'est pas fini.


C'est une ode à la compassion que ce livre. Pas mal écrit, quoique qu'un peu longuet parfois, un peu répétitif aussi. Il redonne un peu de son enfance à Comaneci et lui pardonne ses mauvais choix, rendant leur responsabilité aux sangsues qui se sont nourris de son talent et lui ont confisqué son propre corps. J'avoue, ça dégoute de ses congénères, mais c'est une leçon de tolérance et de prise de recul, pas superflue en ce moment.


La petite communiste qui ne souriait jamais
Lola LAFON
Actes Sud Littéraires
Janvier 2014
320 pages
21€

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