samedi 16 juillet 2011

L'impuissance face au Nemesis


32e opus de son oeuvre, "Nemesis" marque le retour de Philip Roth dans le Newark de son enfance. Newark, ce concentré d'Amérique dans lequel peuvent se réaliser les plus grand rêves comme se jouer les plus grandes tragédies.

"Nemesis" nous ramène donc a Newark, sous la canicule de l'été 1944. Alors que la jeunesse de Weequahic, le quartier dans lequel a grandi Roth, se bat en Europe et dans le Pacifique, une violente épidémie de polio frappe les enfants des familles les plus modestes. La peur, la panique s'abattent alors sur l'ensemble de la ville où chacun cherche un responsable ou pour le moins une cause à ce nouveau châtiment. Bucky Cantor, jeune instructeur d'éducation physique, responsable de la surveillance d'un terrain de jeux ou tous les enfants du quartier viennent frapper la balle, observe en témoin impuissant le fléau condamnant l'un après l'autre les enfants à la mort ou à l'infirmité.

L'histoire qui nous est ici contée nous plonge dans un profond malaise. Le réalisme avec lequel nous est décrite l'injustice qui frappe les enfants juifs de Weequahic est terrifiant. Ce sentiment est décuplé par l'impuissance de tous face à cette épidémie, celle des autorités, celle des parents, certains tremblant déjà pour leur ainés partis à la guerre, et surtout celle de Bucky Cantor. Cantor, ce modèle de virilité telle que vénérée par la société américaine (qui n'est pas sans rappeler le Swede Levov d'American pastoral), jeune, athlétique, droit et bon, mais incapable d'enrayer le destin de victimes innocentes, attaquées au cœur même de l'Amérique, là où les juifs devraient, en 1944, être en sécurité. La résurgence de l'anti-sémitisme, l'incompréhension face à la cruauté de Dieu, et l'effroi de Marcia, sa petite amie, sont autant de conséquences qui viennent torturer Cantor alors tiraillé entre le combat et la fuite.

Roth nous offre son plus grand art pour décrire la tragédie à laquelle assiste Cantor, son refus d'être sauvé par ceux qui l'aiment, aveuglé par son désir d'héroïsme et son abnégation. Parce que la fatalité frappe les plus faibles, Cantor se sent coupable de ne pouvoir les protéger,de demeurer indemne. Mais s'incliner devant le destin, refuser de se battre pour soi lorsqu'on ne peut se battre pour les autres, rejeter le bonheur lorsque d'autres en sont privés, à quoi cela peut-il mener ? Philip Roth l'a dit, le bonheur ne l'intéresse pas, nous sommes prévenus.

Ce retour à Newark est magistral. Les esprits chagrins qui ont déploré les deniers livres de Roth sur la décrépitude du corps et l'impuissance de l'homme vieillissant, impuissance sexuelle cette fois-ci, réduisant ses écrits à ceux d'un pervers pépère n'étant plus capable que de pleurer sur sa prostate peuvent ravaler leurs critiques. Jouant comme toujours subtilement avec sa propre histoire, adoptant le ragrd d'un enfant de Weequahic qui aurait pu être lui, il signe ici un retour à la gravite et nous démontre qu'il est aussi prodigieux lorsqu'il parle du désir d'un auteur vieillissant que lorsqu'il se confronte aux fléaux du siècle.

Nemesis, Philip ROTH, Random House, UK, 2010, 280 pages
http://www.rbooks.co.uk/product.aspx?id=0224089536

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