mardi 15 juillet 2014

Cyrano de Bergerac à l'Odéon

Voici une pièce que je peux me targuer de connaître par cœur, mais comme une grosse partie de la population française certainement, d'où le challenge pour le metteur en scène qui choisit de monter Cyrano. Il est des mises en scènes et des Cyrano inoubliables qui gonflent la difficulté, à commencer par le film de Jean-Paul Rappeneau qui a réussi à faire de Gérard Depardieu l'incarnation de Cyrano dans l'imaginaire collectif. Je ne connais pas une personne de moins de 35 ans dans ce pays qui n'ait eu droit à sa projection du film au collège, ou qui l'ai regardé pour ne pas avoir à lire le livre pour son cours de Français. La Comédie Française avec Denis Podalydès à la mise en scène et Michel Vuillermoz dans le rôle titre avait réussi à relever le défi avec une mise en scène très classique mais haute en couleur et pleine de panache.

Dans la mise en scène de Dominique Pitoiset à l'Odéon, en revanche, oublions tout classicisme, et bienvenu à l'hôpital psy ! Pour avoir vu quelques mises en scène de Pitoiset dans les années 1990, je m'attendais à son côté sombre et dérangeant, il n'a pas failli à la règle. La scène est une "salle de convivialité" d'institution pour personnes très très fatiguées avec son mobilier institutionnel sans fioriture, tables en formica, chaises en alu et un jukebox dont les musiques viennent marquer les changements de scène... C'est glauque à souhait. Des personnages loufoques errent en survet' ou en vêtements sans âge et Cyrano lui même vêtu d'un Marcel, avec sa blessure à la tête, en sus de son gros nez, n'inspire pas franchement confiance. Pitoiset a mélangé Cyrano de Bergerac avec Vol au dessus d'un nid de coucou. Le choix de mise en scène peu surprendre et déranger, et pourtant, il colle parfaitement au texte. Le trio amoureux de Roxane la précieuse, Christian le pataud et Cyrano l'esthète fonctionne très bien loin des bas de soie, des fraises et des souliers à boucles.

Au milieu de tout cela, Philippe Torreton compose un Cyrano exceptionnel, à tel point qu'il en éclipse souvent ses petits camarades. Si je devais mettre un bémol au spectacle, c'est d'avoir un comédien trop talentueux. Si Cyrano éblouissait par sa verve et ses bons mots, Philippe Torreton éblouit par son interprétation et à côté, même si c'est bien joué, ça ne tient pas toujours la distance. Roxane en particulier a une voie désagréable et peu de modulation de jeu, sauf dans la scène du balcon. Vous me direz que cela se défend quand on campe un rôle de pensionnaire d'asile, mouais, Est-ce que ça vaut deux tympans martyrisés, pas sure. Christian de Neuvillette reste aussi toujours sur le même registre, mais en même temps, selon la pièce, c'est un personnage un peu bourrin qui ne comprend pas bien le concept de nuance. Et en plus, il ne gâche pas le décors...

La scène du balcon constitue le point culminant de la pièce et m'a époustouflée. Christian et Roxane communiquent par Skype, le dos de l'écran devenant la métaphore de l'ombre. Le résultat est excellent. Et comme je l'ai mentionné plus haut, c'est le seul moment de la pièce où Roxane ne braille pas. La mise en scène est ainsi remplie de trouvailles qui font rire ou sourire et qui ne sont jamais à côté de la plaque. Pour autant, elle laisse également sa part à l'émotion et la dernière scène entre Roxane et Cyrano face à leur amour tué dans l'œuf est superbe.

La pièce vient de s'achever à l'Odéon après une tournée à travers la France. Je ne sais malheureusement si elle se verra offrir une deuxième vie.

Cyrano de Bergerac
d'Edmond Rostand
Mise en scène : Dominique Pitoiset
Avec Jean-Michel Balthazar, Adrien Cauchetier, Antoine Cholet, Nicolas Chupin, Patrice Costa, Gilles Fisseau, Jean-François Lapalus, Daniel Martin, Bruno Ouzeau, Philippe Torreton, Martine Vandeville, Maud Wyler

Place de l'Odéon
75006 Paris

du 7 mai au 28 juin 2014

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